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Travail, Famille, Mairie
de Pierre Merejkowsky


Les pigeons ne roucoulent plus.
Les femmes juges pour enfants boivent du chocolat tiède.
La copine célibataire de l'ingénieur du palier supérieur me tient la porte de l'ascenseur.
Je rédige une nouvelle structure générale de ma note d'intention importante.
Les pigeons roucoulent.
La gérante brune de la photocopieuse voisine regrette d'être momentanément dans l'incapacité de satisfaire ma demande. L'agrafeuse est tombée sous la photocopieuse et il est pour l'instant impossible de mettre l'agrafeuse à la disposition de la clientèle.
"Excusez-moi d'insister, je sais bien que je suis dans mon tort, j'aurai dû contrôler l'ultime rédaction de ma note d'intention importante, mais j'ai rédigé une nouvelle structure générale de ma note d'intention importante et j'aimerai joindre cette nouvelle structure générale à ma première note d'intention, dis-je
"Excusez-moi, répond la gérante brune de la photocopieuse voisine
"Ma tenue physique et en particulier mon espadrille trouée constituent une gêne pour votre élégante clientèle. Je ne m'oppose pas à la liberté du commerce. J'essaye simplement de défendre mes droits, dis-je
"Si vous voulez essayer de repasser en fin de soirée, je pourrais simplement résoudre ce petit problème. Je dois finir de relier ces différents rapports avant la fin de cette soirée, ajoute la gérante brune de la photocopieuse voisine
"Je n'associe pas une fonction sociale à une tenue vestimentaire. Mes notes d'intention importante appartiennent à ma propre intimité. La mère de notre futur enfant n'a jamais pris connaissance de mes notes d'intention importante, pourtant je l'aime, et nous nous aimons, dis-je
"Je comprends, dit la gérante brune de la photocopieuse voisine
"J'ai certainement tort de vous envahir avec mes problèmes personnels, je vous prie simplement de me prêter une nouvelle agrafeuse, dis-je
"Je ne suis pas responsable du magasin et mon patron ne nous donne qu'une seule agrafeuse, explique la gérante brune de la photocopieuse voisine
"Je n'ai fait preuve dans votre établissement d'aucune démonstration d'agressivité. Je respecte votre travail. Vous avez des dossiers en cours de finition. Je n'ai encore une fois pas pour habitude d'envahir mon entourage avec mes problèmes personnels. J'assume mon absence d'ambition. Je ne vous demande pas de renoncer à votre clientèle. Je trouve simplement regrettable que la dernière page de ma note d'intention importante ne soit pas agrafée. Je ne cherche pas à semer le trouble dans votre esprit. Nous avons chacun nos problèmes. Je suis parfaitement disposé à reconnaître que ma tenue vestimentaire en général et que mon espadrille trouée en particulier puissent troubler votre clientèle élégante. Je ne suis pas agressif, madame, dis-je
"Repassez en tout début de soirée, et je vous assure que nous trouverons certainement une solution. Vous désirez utiliser une photocopieuse ? enchaîne la gérante brune de la photocopie voisine.
"Je désirerais photocopier un document en trois exemplaires, c'est possible ? demande une cliente élégante
"Bien sûr, madame" répond la gérante de la photocopieuse voisine.
L'aveugle mange une gaufre.
Les pigeons se promènent.
Deux vieilles femmes laides et inutiles photocopient des avis.
La stagiaire enceinte descend de l'escabeau.
Une cliente vieille et laide et inutile demande un renseignement.
"Vous avez besoin de moi ?" demande le gérant frisé de la photocopieuse
"Non, merci, je vous remercie, dis-je.
"Je me débrouille tout seul" dis-je.
Je photocopie la structure générale de ma note d'intention importante.
Le gérant frisé de la photocopieuse ne transpire pas. Il ne sue pas à grosses gouttes.
Je prends le stylo qui dépasse du porte stylo. J'écris mon nom et mon adresse sur le dos de l'enveloppe. Je prends un trombone qui dépasse d'un porte trombone. Je coince les feuillets de la structure générale de ma note d'intention importante entre les deux pinces du trombone.
"Excusez-moi de vous déranger, mais j'ai vraiment besoin de l'agrafeuse" dis-je.
"Nous n'avons plus d'agrafeuse, répond l'employé roux
"Je vous ferai remarquer qu'il n'y aucune raison qu'en échange de quarante centimes il vous paraisse normal de vous prêter gracieusement un stylo, un trombone et une agrafeuse, ajoute le gérant frisé de la photocopieuse.
L'employé roux sourit. .
"J'apprécie votre sens de l'humour" dis-je.
La cliente vieille laide et inutile sourit.
"J'ai souvent acheté dans votre magasin des petites merdes, dis-je d'une voix suave et engageante.
"Des petites merdes ? s'étrangle le gérant frisé de la photocopieuse
"J'ai acheté des chemises pour mes dossiers, et j'ai également acheté une agrafeuse, la mère de notre futur enfant ne possède pas d'agrafeuse et je reconnais que j'ai eu tort d'égarer mon agrafeuse.
"Vous entendez, monsieur dit que nous vendons des petites merdes, s'exclame le gérant frisé de la photocopieuse.
La stagiaire enceinte remonte sur l'escabeau.
Les chaussures plaquées en cuir d'un cadre dynamique contournent mon espadrille trouée.
"Je pourrais avoir l'agrafeuse" dis-je
Le gérant frisé de la photocopieuse adresse un sourire chaleureux aux chaussures plaquées en cuir.
"Excusez-moi, je crois que j'étais avant vous" murmure une cliente juchée sur des talons en simili chêne
"Je pourrais avoir l'agrafeuse" dis-je
Le gérant frisé de la photocopieuse dégrafe un paquet agrafé.
"S'il vous plaît, vous pourriez me prêter l'agrafeuse ? dis-je
"Au revoir, madame, bonne journée" dit le gérant frisé de la photocopieuse.
"Je ne supporte pas d'être méprisé, dis-je.
"Bonne journée, monsieur, dit le gérant frisé de la photocopieuse
"Bonne journée, monsieur" répète la femme juchée sur les chaussures en simili chêne
"Vous avez une autre photocopieuse dans la rue, elle possède peut être une agrafeuse, affirme la stagiaire enceinte
"Je vous remercie, je ne veux pas être paranoïaque. Je ne suis pas paranoïaque. Je ne supporte pas que certaines personnes se permettent de me dire que je suis paranoïaque, dis-je
"Bonne journée, monsieur, dit la femme juchée sur les chaussures en simili cuir
"Bonne journée, monsieur, dit l'employé roux
"Vous pouvez repasser en fin de journée, vos dossiers seront photocopiés en quinze exemplaires, dit le gérant frisé de la photocopieuse
"Je vous remercie, dit le cadre moyen
"Bonne journée monsieur, dit le gérant frisé de la photocopieuse
"Bonne journée, monsieur, dis-je
"Bonne journée monsieur, dit le gérant frisé de la photocopieuse
"Bonne journée, dit le cadre moyen
"Bonne journée monsieur", dit l'employé roux.
La journée n'est pas terminée.
Mon ami psychiatre a été interné.
Doublevé n'a pas été interné. Doublevé a une copine. J'ai une copine. Nous avons une copine. Je n'ai pas été interné. Doublevé n'a plus le temps de manger les sardines que les assistants sociaux cuisaient sur les briques chaudes du squat artistique qu'a ouvert le Service Culturel. Il dîne le soir chez sa copine. Je dîne le soir chez la mère de notre futur enfant. Nous dînons le soir chez une copine. Je ne dîne pas le soir chez ma mère. Ma mère a un mari.
L'ascenseur est en réparation.
La gardienne dîne dans la loge. Le gardien dîne avec la gardienne. Les enfants des gardiens dînent. La porte de la loge est fermée. La porte de l'appartement est fermée. J'ouvre la porte de l'appartement. Je referme la porte de l'appartement. La porte de la pièce principale n'est pas fermée à clef. La porte du salon est ouverte. La porte des toilettes est fermée. Je n'ouvre pas la porte des toilettes. La porte de la cuisine est fermée. Je n'entrouvre pas la porte de la chambre à coucher. Zède téléphone. Je mange une tartine beurrée avec du beurre de la Normandie. Je me lave la main gauche. Zède affirme qu'elle est fatiguée. Elle ajoute qu'elle a mal au dos. Elle précise qu'elle ne sait pas pourquoi elle a mal à la tête. Elle ne sait pas pourquoi elle a mal la tête. Elle n'a pas besoin de l'adresse d'un médecin. Elle affirme que je suis très gentil et que je suis adorable. Elle prend à tout hasard l'adresse du médecin. Elle n'a rien pour écrire sous la main. "Tu n'as pas sur toi un stylo, je n'ai rien pour écrire sous la main" dit Zède. "Excuse moi je n'ai pas de stylo sur moi" dis-je. Je me lave le pied gauche. "Je t'embrasse" s'exclame Zède. Le moucheron plane au-dessus du porte savon. "Tu as passé une bonne journée ?" demande Zède. Je réponds que j'ai passé une bonne journée.
"Qu'est ce que tu as fait ? demande Zède
"Rien, j'ai travaillé" dis-je
"Pourquoi est ce que tu ne veux plus rien me dire ?" interroge Zède
J'essuie le porte serviette.
"Pourquoi est ce que tu ne veux plus rien me dire ? répète Zède
"Pourquoi est ce que tu dis que je ne veux plus rien te dire ? dis-je
"Tu ne me parles plus
"Si, je te parle
"Tu ne me parles plus jamais de tes projets
"Je ne veux pas me disputer avec toi, je n'ai pas envie de me disputer avec toi
"Je n'ai jamais dit que je voulais me disputer avec toi, je voudrais que tu me parles de tes projets.
"Mon ami psychiatre a été interné" dis-je.
Le combiné téléphonique sonne. Je bois un verre de jus d'orange. Les oranges sont pressées. "Tout va très bien, et toi ça va, vous allez bien, moi ça va, je suis très heureuse, j'ai un peu mal au dos, et je ne sais pas pourquoi j'ai mal à la tête, mais pour l'instant je suis très heureuse. Je ne veux pas crier victoire trop tôt, je ne suis pas dans la toute puissance de mes désirs, mais j'espère que je vais garder ce petit enfant, je suis tellement heureuse, mais non tu ne me déranges pas, j'ai juste un peu mal à la tête le soir. Je ne m'inquiète pas. Je ne veux pas m'inquiéter, et vous, vous allez bien tous les deux ?" interroge Zède.
Le coussin jaune glisse du canapé jaune. "A très bientôt, je t'embrasse très fort, s'exclame Zède
"Doublevé ne me téléphone plus le matin. J'ai l'impression qu'il travaille dans l'après midi" dis-je
Zède époussette le coussin jaune.
"C'est une trahison, une trahison, dis-je.
Zède époussette l'oreiller bleu.
"Nous n'avons pas les moyens d'échapper au laminage. Nos disputes sont provoquées par le laminage. Je ne veux pas me laisser laminer. Je ne te reproche pas de me laminer. Nous sommes responsables de nos mutilations. "Ton copain a été interné dans quel hôpital ?
"Je ne sais pas. Le Commissaire n'a pas communiqué son adresse
"Tu ne veux pas me dire ce que tu as fait dans la journée ?
"J'ai photocopié une importante note d'intention importante
"Si tu ne veux plus parler, nous ne parlerons plus
"Nous sommes laminés par le système, je ne veux pas critiquer la femme mariée séduite de Doublevé, ni le gérant frisé de la photocopieuse. Je ne te critique pas, je suis content d'avoir un enfant, je n'ai jamais dit que je ne voulais pas d'enfant, je ne considère pas qu'un enfant soit le signe d'un rapprochement. Je ne suis pas naïf. Tu es une femme. L'homme et la femme ne défendent pas des intérêts communs. La femme mariée séduite n'est pas responsable des actes de Doublevé. Elle a quitté son mari. Ils ne s'aimaient plus. Je ne veux plus ne plus t'aimer. Je ne suis pas coupable. Les mères agissent pour le bien de leurs enfants. Doublevé ne travaille pas. Il risque d'entraver le développement de l'éducation de l'enfant de la femme mariée séduite. La femme mariée séduite n'a pas une tâche facile. Un enfant a besoin d'un cadre éducatif. Doublevé n'a jamais dit qu'il voulait se réinsérer, il n'a jamais écrit, ni encore moins photocopié une note d'intention importante. Il ne s'est pas infiltré dans ma vie privée. Il a choisi de travailler. Il n'est pas responsable de leur divorce. Je ne lui reproche pas de tenter de se rapprocher de la femme séduite mariée. Je suis moi aussi incapable de vivre dans la solitude. J'estime simplement que dans ces conditions il n'avait pas le droit de laisser entendre qu'il partageait certaines de mes convictions
"Je croyais que tu m'aimais, affirme Zède
"Je t'aime
"Je ne t'ai pas demandé de travailler, et je ne te demanderai jamais de travailler
"Je te remercie
"Je ne veux pas que tu me remercies, je ne te demande pas de changer ta vie, je suis heureuse que tu sois le père de notre enfant, tu ne veux pas éplucher un autre oignon ? demande Zède
La voisine Enne ouvre la porte. Je mange une omelette. Zède boit du jus d'oranges pressées. "Je vous dérange ?" demande la voisine Enne. "Non" dit Zède. La voisine Enne espère changer d'emploi. Elle n'est pas encore certaine d'avoir réussi à trouver un nouvel emploi. Zède me demande de finir l'omelette aux pommes de terre. La voisine Enne est sur une bonne voie. "Je suis sur une bonne voie, je n'ai pas encore de réponse, mais je suis sur une bonne voie" dit la voisine Enne Elle ne veut pas se laisser bercer par de fausses illusions, mais elle a de grandes chances d'être sélectionnée. Elle aura plus de responsabilités. Elle sera mieux payée. Elle n'est pas certaine d'être engagée. Elle ne veut pas crier victoire trop tôt, elle n'est pas comptable de ses propres désirs, mais il y a raisonnablement de grandes probabilités pour qu'elle soit choisie parmi les autres candidates. De toutes façon, en cas d'échec, un échec étant toujours prévisible, elle ne sera pas trop déçue, l'important est d'agir, et de surtout éviter de se contenter d'un train train qui finit par être préjudiciable. "Et toi, comment vas tu ?" demande la voisine Enne. "Ca va. J'ai juste un peu mal la tête. Je ne sais pas pourquoi j'ai mal à la tête. Mais à part cette légère douleur je suis heureuse, je suis très heureuse, complète Zède
"Et toi, ça va ? demande la voisine Enne
"Ca va très bien, dis-je.
"Tu veux prendre un déca avec nous ? demande Zède
"Tu devrais tout de même essayer de trouver un autre travail. Ton diplôme finira pas être déprécié sur le marché du travail. Tu ne devrais pas trop attendre. Tu devrais profiter de ton congé maternité pour te retourner. Je ne suis pas certaine que tu aies choisi une bonne voie, affirme la voisine Enne
"Je préfère penser à mon bébé, affirme Zède
"Tu as raison de vouloir penser prioritairement à ton bébé mais ton bébé n'est pas encore là, et à mon avis tu devrais mettre à profit ton congé de maternité pour essayer de te repositionner sur le marché du travail
"Tu as certainement raison, mais pour l'instant je préfère penser à mon bébé
"Tu as obtenu au prix de multiples sacrifices ton diplôme, il serait stupide que tu ne tentes pas de le valider, tu sais très bien comme moi que les places sont rares et que plus le temps passe et moins tu auras de chance de trouver une place correspondante à ta nouvelle qualification, excuse moi, encore une fois, mais est ce que tu crois que je me trompe ?
"Non tu ne te trompes pas".

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