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Travail, Famille, Mairie
de Pierre Merejkowsky


Zède épluche l'oignon.
J'étale du beurre de la Normandie sur la tartine. Un pigeon attend.
"Tu veux du sucre avec ton déca ? reprend Zède
"Non merci, je préfère boire mon déca sans sucre, je suis constipée le matin et je crois qu'il vaudrait mieux que je m'abstienne de manger du sucre avant de me coucher, en tout cas, tout cela est bien compliqué, tu as peut être raison de patienter. Je ne sais pas" affirme la voisine Enne
"C'est bien compliqué" reprend la voisine Enne
La voisine Enne touille le déca dans la tasse à déca.
"Tu as certainement raison de vouloir t'occuper prioritairement de ton enfant, c'est vrai, il faut faire des choix, et je ne sais pas comment j'agirai à ta place, affirme la voisine Enne.
"Tu n'es pas à ma place, affirme Zède
"C'est vrai je ne suis pas à ta place. A propos je te dois dix francs de la semaine dernière
"Ce n'est pas grave
"Mais si. Il n'y a pas de raison, je veux te les rendre
"Ca n'a pas d'importance, ce n'est pas pressé
"Non, non il n'y a pas de raison, je veux te les rendre
"Je peux très bien attendre la semaine prochaine
"Je n'ai pas de liquide sur moi, je vais descendre en chercher
"Mais non, c'est ridicule bois ton déca, je ne suis vraiment pas pressée
"Je te donnerai les dix francs après demain, j'aurai le temps de passer au distributeur. En tout cas, tu as certainement raison de penser prioritairement à ton bébé, le tout est ensuite de ne pas avoir de regret et d'agir avec discernement afin de ne pas tomber dans ses propres pièges. Et toi ça va ?
"Ca va, dis-je. "Ta journée s'est bien passée ?". "J'ai photocopié une importante note d'intention importante. "Pendant toute la journée ?". "Je n'ai pas envie d'imaginer que je suis tenu de rendre compte heure par heure et minute par minute de mon emploi du temps, je ne veux pas être paranoïaque et je ne supporte pas que certaines personnes puissent se permettre de dire que je suis paranoïaque. Je suis d'une certaine façon minoritaire dans la société. Et une attitude paranoïaque ne pourrait que renforcer les forces culturelles qui cherchent à nous éliminer.
"Nous avons chacun nos difficultés, mais je crois que tu exagères affirme la voisine Enne
J'enroule mon cou dans le foulard. J'enfile le manteau. J'enfile la double paire de chaussettes J'enfile le bonnet de laine qu'une amie de Zède m'a offert pour la répétition annuelle de mon anniversaire. J'avale un cachet d'aspirine. Je bois une gorgée brûlante d'un thé brûlant. J'enfile une paire de moufles fourrées. Je boutonne les boutons. Je dois éviter de subir un refroidissement. Je dois éviter d'attraper par négligence et encore moins par choix une angine de poitrine, une angine, deux oreillons, une rougeole, une tuberculose, plusieurs eczémas, le rhume. Une maladie contagieuse peut entraîner des malformations congénitales chez un futur nourrisson. "Une recherche d'emploi passe nécessairement par certaines phases, et l'important consiste essentiellement à ne pas sombrer dans un dangereux repli sur soi même" affirme la voisine Enne "Je n'ai jamais dit que j'étais paranoïaque" dis-je. "Tu veux bien descendre acheter un oignon ?" demande Zède. "Si tu veux je te donne cinq francs" dit la voisine Enne "Je ne vous devrais plus que cinq francs sur les dix francs" ajoute la voisine Enne "Nous ne sommes pas pressés, tu nous rendras les dix francs quand tu pourras" dit Zède. "Doublevé a trouvé du travail. C'est une trahison" dis-je. "J'ai apporté des gâteaux. Je ne finirai pas la boîte des gâteaux que j'ai achetée. Je ne sais pas pourquoi j'ai acheté des gâteaux. Je n'aime pas les gâteaux" dit la voisine Enne. J'ouvre la porte de la cuisine. Je ferme la porte du salon. Un interphone sonne. Les agents municipaux mangent des tartines beurrées. Les employés de la Municipalité ont ôté les grilles qui protègent nos enfants des attentats terroristes contre des victimes innocentes. Je ne séduis pas les enfants. Je n'exerce pas une activité de terroriste. Je ne séduits pas la voisine de Zède. J'achète un oignon.
"Vous avez acheté un oignon ? demande l'épicier.
"Oui, dis-je
"Vous ne désirez pas autre chose ? demande l'épicier.
"Non, dis-je
"Quelle commande ! s'exclame l'épicier.
"Si vous voulez je peux m'en aller, dis-je
"Je n'ai pas le droit de vous refuser un achat, dit l'épicier
"Je ne veux pas me refermer sur moi-même, l'oignon était pour la mère de notre futur enfant, nous attendons un enfant, je ne veux pas être paranoïaque" dis-je.
"Voila, ça fait un franc, bonne soirée chez toi" dit l'épicier.
L'épicier a évalué le poids de l'oignon. L'oignon est oignon roux. Je ne proteste pas. L'épicier est un épicier malhonnête. L'épicier est un voleur. Le gérant frisé de la photocopieuse est malhonnête. La voisine Enne n'est pas malhonnête. La voisine Enne remboursera les dix francs. Je ne suis pas malhonnête. La malhonnêteté conduit à l'isolement. Doublevé a fait preuve de malhonnêteté. J'ai eu la preuve de sa malhonnêteté. Il s'est coupé de ses anciennes partenaires sexuelles. Il s'est isolé. Mon ami psychiatre n'a pas été malhonnête. Il est interné. Zède ne connaît pas les causes de l'internement de mon ami psychiatre. Je ne suis pas responsable de son internement. Zède ne veut pas connaître la nature exacte des rapports qui régissaient les névroses de Igrèk et de mon ami psychiatre. Zède porte un paquet cadeau. Je ne porte pas de paquet cadeau. Je n'offre pas de brins de muguets à ma mère. Je ne croise pas Effe dans la rue.
Je croise parfois Effe dans la rue.
Ce soir, je n'ai pas croisé Effe dans la rue.
Quand je croise Effe dans la rue, Effe me serre la main. Il dit qu'il est malheureusement très pressé. Il dit ensuite "bonjour", puis il dit ensuite "au revoir".
Effe n'achète pas des oignons. Effe n'est pas malhonnête. Effe est scénariste. Effe écrit avec un groupe-pool de scénaristes des séries scénarisées pour la chaîne des séries télévisées. Effe n'a pas envie de passer sa vie à écrire des séries scénarisées pour la chaîne des séries télévisées. Effe a créé une société de production de films expérimentaux. Effe cherche des investisseurs. Effe a un enfant. Effe est propriétaire de son appartement. Il ne voulait pas d'enfant. La mère de son enfant l'a quitté, sa Compagnie d'Assurance a refusé d'indemniser le dégât des Eaux, son autoradio multistéréo a été cambriolée, il été licencié d'un poste à très haute responsabilité, il a perdu ses contacts professionnels et il a recommencé à écrire des séries scénarisées pour la chaîne des séries télévisées. Il versera des dividendes aux investisseurs s'il réussit à vendre les films expérimentaux à une chaîne de télévision nationale. Un investissement comporte par essence une prise de risque. Il n'a pas le projet d'escroquer ses proches. Il n'est pas un escroc. Sa maîtresse passe toutes ses vacances à la montagne en compagnie de son mari et de ses trois enfants. Il ne comprend pas pourquoi j'affirme que je suis paranoïaque. J'étais parfaitement libre de refuser de refuser d'entrer dans la problématique maternelle de Zède
J'achète une poire chez le marchand de poires.
"Vous avez acheté une poire, quelle commande!" s'exclame le marchand de poires.
Je ne proteste pas. Je ne requière pas l'autorité du vigile municipalisé. Je ne crie pas. Je ne me plains pas. Je ne me révolte pas. Je ne m'exclame pas. Je ne me désespère pas. Je ne suis pas désespéré. Je ne veux pas perdre la possibilité d'acheter un oignon et une poire. Je ne veux pas perdre la possibilité de photocopier des notes d'intention importante. Doublevé a trouvé du travail. Il n'a plus le temps de prendre son café le matin dans le café que fréquentent assidûment les femmes juges pour enfants chargées de la réinsertion des pré et des post délinquants. Je dois photocopier dans la matinée des notes d'intention importantes. Je dois rédiger dans l'après midi les notes d'intention importantes que je photocopierai dans la matinée.
Je dois concentrer mon énergie sur la réalisation de mes projets.
Je n'ai pas d'autre solution.
Le soir, je dîne. La nuit, je dors chez Zède.
Le principe de la réalité précède le principe du désir. J'attends un enfant. Un enfant doit s'identifier à l'image d'un père. Je sais que j'attends un enfant. Zède m'aime. La deuxième mère des trois enfants vit dans un appartement. Elle a cessé de m'aimer. Nous avons cessé de nous aimer. Nous ne sommes plus amoureux. Nous n'éprouvons plus de sentiment l'un pour l'autre. Nous avons cessé d'éprouver des sentiments l'un pour l'autre. Son mari souffre de fréquentes crises d'asthme. Il exerce une profession. Ils se sont mariés dans une Eglise. Son nouveau mari n'avait pas d'enfant. Je ne veux pas rompre mes relations avec la deuxième mère des trois enfants. Ma mère me conseille de ne pas rompre mes relations avec la deuxième mère des trois enfants. La présence du Père est essentielle.
La voisine Enne n'a pas mangé l'oignon. Elle ne digère pas les oignons. Elle souffre d'embarras gastriques.
Je croise Effe dans la rue.
Je n'ai pas perdu la possibilité de photocopier des notes d'intention importante. Le gérant frisé de la photocopieuse me demande ce que je désire. "Je voudrais photocopier une note d'intention importante" dis-je. "Je vous en prie" dit le gérant frisé de la photocopieuse. Effe ne m'accompagne pas. Il n'a pas le temps de m'accompagner. Il a un rendez vous extrêmement important et il est déjà en retard. La stagiaire de la photocopieuse me sourit aimablement. Zède me sourit aimablement tous les soirs. Zède est heureuse. Je souris tous les soirs aimablement. Zède attend un enfant. Nous attendons un enfant. Je n'attends pas un enfant avec la deuxième mère des trois enfants. La deuxième mère des trois enfants ne me sourit pas. Elle sourit à son mari. "La mère de tes trois enfants et son mari sont des êtres responsables et exceptionnels. Ils respectent la personnalité de tes enfants, tu ne dois pas te présenter chez eux avec un blouson constellé de taches de cambouis" affirme ma mère.
Je change de chaussettes trois fois par semaine.
"Tu ne dois pas te couper de la deuxième mère des trois enfants, la présence d'un Père est essentielle, tu as tort de te présenter devant tes trois enfants avec un blouson constellé de taches de cambouis" confirme Zède
Le chat boit de l'eau dans une écuelle. C'est un chat tigré.
Les trois enfants ne portent pas des blousons constellés de taches de cambouis.
L'écuelle est posée sur le carrelage de la cuisine. Elle n'est pas posée sur le parquet de la chambre des trois enfants. Le chat tigré nettoie régulièrement ses babines tigrées. Zède n'aime pas la crasse. Le chat tigré n'aime pas la saleté. Zède supporte le désordre. Mais pas la crasse. Les trois enfants nettoient leurs dents une fois par jour avant de se coucher. Ils se couchent le soir. Le matin, ils vont à l'école.
Les enfants ont besoin d'un cadre éducatif.
Un enfant a besoin d'un cadre éducatif.
"C'est quand même bien d'avoir un cadre éducatif, avec une vraie famille, dans un vrai cadre" affirme ma fille aînée qui habite provisoirement chez la deuxième mère des trois enfants. "Ta fille aînée est majeure et équilibrée, elle est très heureuse d'avoir une vraie famille avec un vrai cadre éducatif" confirme ma mère. Ma fille aînée me sourit quand elle me rencontre. Mon père ne me sourit pas. Ma mère me sourit. Mon père ne boit pas du thé. Il mange un gâteau. Mon père et ma mère me demandent des nouvelles de la santé de Zède. "Tu devais porter ton blouson chez le teinturier", dit ma mère. "Ton blouson est constellé de taches de cambouis", dit mon père. Mon blouson est sale. Mon blouson est constellé de taches de cambouis. Je ne me lave pas les dents tous les soirs avant de me coucher. Je me lave les dents à quatorze heures trente deux. Je prends un bain par jour. Je prends un bain tous les jours, à l'exception du dimanche. Le dimanche je ne prends pas un bain, je prends une douche. Je mange également le dimanche, en revanche je ne mange pas le mercredi après midi, je ne sais pas pourquoi je ne mange pas le mercredi après midi, mais je sais pourquoi je prends un bain tous les matins à l'exception du dimanche matin. Il ne faut pas être sale. Il faut être propre. Un futur enfant a besoin d'un cadre éducatif propre. Le gérant frisé de la photocopieuse a refusé de me prêter son agrafeuse. Il a estimé que les taches de cambouis de mon blouson pouvaient indisposer sa clientèle. Les mendiants veulent volontairement rester propres sur eux. La propreté est un droit élémentaire. Je ne suis pas un mendiant. J'attends un enfant. Un enfant attend de ses parents un apprentissage de la propreté. Un enfant doit bénéficier d'un cadre éducatif propre et serein. Un enfant doit être lavé et habillé tous les jours, y compris le dimanche après midi. Il ne doit pas porter un blouson constellé de taches de cambouis. Je n'ai pas trempé mon blouson dans un pot de cambouis. Je ne suis pas volontairement sale sur moi. Les gardes boue avant et arrière de ma bicyclette quart de course sont cassés. C'est une bicyclette quart de course sans garde boue. Je ne sais pas qui a cassé les gardes boue. Nous vivons dans l'insécurité permanente. Les gardes boue des bicyclettes quart de course sont volontairement cassés. La deuxième mère des trois enfants ne supporte pas de vivre dans un sentiment récurent d'insécurité permanente. Elle ne supporte pas la saleté. Elle ne supporte ni la crasse, ni les taches de cambouis. Elle supporte à la rigueur le désordre. Doublevé ne porte pas un blouson constellé de tâches de cambouis. Mon père ne porte pas un blouson constellé de tâches de cambouis. Zède ne porte pas un blouson constellé de tâches de cambouis. Les passants ne portent pas des blousons constellés de tâches de cambouis. Les passants ne regardent pas mon blouson constellé de tâches de cambouis. Les passants marchent.
Je marche.
Je ne croise pas Doublevé dans la rue. Je ne croise pas la voisine Enne dans la rue. Je prends un bain. Je me lave les mains. Je me lave les pieds. Je change de paires de chaussettes. Un enfant a besoin pour son équilibre d'évoluer dans un univers sain et propre. Zède répète qu'elle a besoin de se sentir sécurisée. Je réponds que je n'ai pas l'intention de changer de style de vie. J'ajoute que je n'ai pas encore pris la décision d'ôter les taches de cambouis qui constellent mon blouson. Je ne mange pas une tartine beurrée avec du beurre de la Normandie. Je téléphone à Doublevé. Doublevé me demande si j'ai passé un bon week end. Je réponds que j'ai passé un relativement bon week end. Il affirme qu'il a également passé un excellent week end. J'affirme que je suis presque certain de rentrer prochainement en contact avec le Secrétaire de l'Action Culturelle et Territoriale de la Mairie. Je téléphone à Effe. Effe affirme qu'il a passé un relativement bon week end. J'affirme que je suis presque certain de rentrer prochainement en contact avec le Secrétaire de l'Action Culturelle et Territoriale de la Mairie. Zède affirme qu'elle envisage de suivre une psychothérapie. Je demande si à son avis il y a encore une chance pour que le ou la psychothérapeute ne cherche pas à m'évincer. Zède ne sait pas pourquoi le psychothérapeute essayerait de m'évincer. Je réponds que je n'essaye pas de la sécuriser et que c'est pour cette raison que le ou la psychothérapeute cherchera à m'évincer. Zède ouvre la porte du frigidaire. Elle sort le paquet de beurre de la Normandie. Elle affirme qu'elle se sent épuisée nerveusement et qu'elle n'a pas encore mangé. Je réponds que je ne veux pas me laisser gagner par l'angoisse et que j'ai bon espoir d'obtenir prochainement un rendez-vous avec le Secrétaire de l'Action Culturelle et Territoriale de la Mairie. "Je suis très contente. Tu as eu tort de t'enfermer dans un apparent système de défense paranoïaque" commente Zède.
Je me suis laissé abuser par mon système de défense paranoïaque. Doublevé ne travaille pas. Il n'est pas à la recherche d'un emploi.
Je croise Doublevé dans la rue.
Doublevé me demande si j'ai des nouvelles de mon ami psychiatre. Je réponds que mon ami psychiatre ne prend plus de mes nouvelles. Igrèk a repris contact avec mon ami psychiatre et il est dans ces conditions vraisemblable que mon ami psychiatre cherche à se préserver d'un système qui englobe mes demandes affectives. "C'est dommage, j'ai vu ta copine Igrèk une seule fois et j'aurais bien aimé la revoir", affirme Doublevé. "Elle ne veut pas te revoir, je ne mens pas et je ne te manipule pas, dis-je. "Bien sûr" dit Doublevé.
Les femmes juges pour enfants lisent le journal des petites annonces.
"Igrèk n'a pas admis que tu te moques de son ancien amant qui se déplaçait en moto, et mon ami psychiatre a décidé qu'il était préférable qu'il mette un terme à votre relation" dis-je. "Zède va bien ?" demande Doublevé. "Elle va très bien" dis-je. "Tu as le temps de prendre un verre ?". "Non". "C'est dommage". "Je te rappelle demain matin en fin de journée. "Je ne serai peut être pas là, laisse-moi un message sur le répondeur. "Si tu es disponible, j'aimerais bien prendre un verre avec toi en fin de matinée". "Je serai peut être là en fin de matinée, téléphone moi dans la matinée, d'accord ?". "D'accord". "Entendu". "A bientôt". "A bientôt". "Transmets mes amitiés à Zède". "Je ne voulais pas te vexer". "Me vexer ?" "Je ne suis pas responsable du comportement affectif de Igrèk". "...." "Tu ne m'en veux pas ?". "Non". "A bientôt". "Sans doute à demain, passe une bonne soirée". "Au revoir". "Au revoir". "Téléphone-moi". "Je te téléphone sans faute". "A demain". "A demain".

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