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Travail, Famille, Mairie
de Pierre Merejkowsky


C'est l'hiver. Ou bien c'est l'été. Il pleut ou bien il ne pleut pas. L'enfant joue du piano. Le policier ne joue pas du piano. La cliente vieille, laide et inutile traîne un cabas. Les enfants entrent et sortent de l'Ecole. L'Instituteur surveille les enfants. Il ne siffle pas dans un sifflet. Le pigeon s'envole. Très haut dans le ciel, les nuages flottent. L'aveugle s'engouffre dans la boulangerie. La cliente vieille, laide et inutile et l'aveugle commandent une bouteille de vin. Le marchand de vin vend de la bière et du vin.
Je ne tourne pas en rond sur le palier.
La cliente vieille, laide et inutile photocopie l'Avis de la copropriété.
La cliente vieille, laide et inutile me demande si j'ai l'intention d'utiliser la photocopieuse. Je réponds que j'ai l'intention d'utiliser la photocopieuse. La cliente vieille, laide et inutile me demande de l'excuser. Elle n'a qu'un seul avis à photocopier. L'Administration des retraités du Petit Commerce persécute le Petit Commerce. La cliente vieille et laide et inutile est persécutée par l'Administration. Le gérant frisé de la photocopieuse qui assure la gestion de la photocopieuse me demande si j'ai l'intention de photocopier des documents dans son magasin.
La cliente vieille laide et inutile compte ses deux photocopies. Elle a photocopié deux fois l'avis. C'est une erreur.
"Je me suis trompée" dit la cliente vieille, laide et inutile.
Je souris.
Le gérant frisé de la photocopieuse raconte une histoire drôle. La stagiaire enceinte sourit.
L'employé roux s'esclaffe.
La cliente vieille laide et inutile ne sourit pas.
La vieille cliente laide et inutile écarte le chien à poils ras. Le chien à poils ras se faufile entre les jambes de l'aveugle. Les barrières de sécurité protègent la sécurité des enfants de l'école. Une fillette dorée mange une tartine de fromage blanc sur le flanc gauche de l'autobus. L'employé roux de la photocopieuse photocopie. La stagiaire enceinte colle.
"Vous venez vous aussi pour une photocopie ? répète à mon attention le gérant frisé.
"Occupez-vous de monsieur et évitez, s'il vous plaît de tutoyer monsieur, nous sommes une entreprise et nous devons respecter la clientèle" précise le gérant frisé.
"Je m'occupe de vous tout de suite" affirme l'employé roux.
"Les gens sont parfois incroyables, ajoute le gérant frisé, vous vous rendez compte, la photocopie voisine de notre magasin est dix centimes moins chère que chez nous, et bien imaginez vous qu'il ne se passe pas une journée sans qu'à l'heure du déjeuner, des clients de la photocopieuse voisine viennent me demander l'heure de réouverture de la photocopieuse, ce qui est encore à peu près normal, mais qu'en plus, il me demande de leur faire un rabais de dix centimes, c'est incroyable, vous ne trouvez pas que c'est incroyable ?
"C'est incroyable, dis-je
"Si encore ils me demandaient un rabais c'est à dire de leur faire payer trente cinq centimes au lieu de quarante centimes, je pourrais leur répondre favorablement s'ils faisaient preuve de franchise, mais non, ils entrent dans mon magasin et froidement ils me demandent l'heure de réouverture du magasin concurrent et en plus ils larmoient pour obtenir dix centimes de réduction, franchement les gens exagèrent, ils se croient tout permis
"Je crois que j'ai malheureusement oublié mon parapluie dans votre magasin, annonce la cliente vieille, laide et inutile
"Je ne crois pas madame, répond le gérant frisé
"Franchement, les clientes âgées et inutiles exagèrent, dis-je.
"C'est à moi que vous parlez ? s'indigne la cliente vieille, laide et inutile
"Monsieur plaisante, monsieur aime bien la plaisanterie, n'est ce pas monsieur ? affirme le gérant frisé
"Je peux vous empruntez l'agrafeuse s'il vous plaît ? dis-je
"Ecoutez, je veux bien être sympa avec vous, mais il y a quand même des limites, vous utilisez quotidiennement notre stylo, nos trombones et le tout pour quarante centimes, il ne faut pas exagérer, réplique le gérant frisé de la photocopieuse
"Excusez-moi, dis-je
"Je n'ai aucune raison d'accepter vos excuses, affirme la cliente vieille, laide et inutile
"Vous désirez autre chose ? demande la stagiaire enceinte en frottant la pointe de ses seins contre la parapluie de la vieille cliente laide et inutile.
"Je vous remercie vous êtes très aimable, dit la cliente vieille, laide et inutile en étreignant le parapluie.
Deux hommes et une cliente élégante demandent un renseignement. L'employé roux fournit le renseignement. La cliente vieille, laide et inutile remercie le gérant frisé. "Vous avez raison, les clients exagèrent, je peux utiliser l'agrafeuse ? dis-je
"Monsieur, nous ne plaisantons pas, vous êtes ici dans un magasin de photocopieuse et non sur la scène d'un Théâtre, rétorque le gérant frisé.
Mon espadrille trouée heurte le porte parapluie.
La cliente élégante et les deux hommes pincent les narines avec mépris.
"Quatre photocopies, ça nous fait un franc soixante" claironne le gérant frisé.
Un pigeon se bat avec un pigeon.
La vieille cliente laide et inutile me dévisage. Le surveillant de la grande surface me surveille. Les enfants sortent de l'école. Une mère d'enfant embrasse un enfant. Un père surveille la sortie de sa fille. Une fillette poursuit un garçonnet. Le flanc gauche de l'autobus s'immobilise contre les pigeons.
Je ne tourne pas autour des deux pigeons.
Le gérant frisé livre soulève une pile de trombone.
"Je vous ai dit qu'il m'était impossible de vous prêter l'agrafeuse" répète le gérant frisé.
La cliente élégante se détourne de mon espadrille trouée.
"Nous n'avons plus rien à nous dire" affirme le gérant frisé.
"Je ne suis pas votre ami. Je reconnais que je n'ai pas le droit de vous emprunter votre agrafeuse. Je ne voulais pas me montrer désagréable avec votre cliente laide et inutile. J'ai photocopié une note d'intention importante et vous n'avez pas le droit de me mépriser. J'étais seul dans votre magasin, je me permets d'insister sur ce point, je n'ai pas cherché à perturber la bonne marche de votre entreprise, j'ai parfaitement le droit de porter des espadrilles trouées, généralement je ne reste pas plus d'un an dans le même magasin de photocopieuse, nous ne sommes pas liés par un contrat, vous avez parfaitement le droit de sous payer votre stagiaire enceinte, je ne cherche pas à imposer mes idées, je ne cherche pas à prendre le pouvoir, je ne cherche pas à vous convaincre, dis-je.
"Monsieur plaisante, sourit le gérant frisé de la photocopieuse.
"Je ne plaisante pas, je ne veux pas me laisser humilier, au revoir monsieur, excusez-moi monsieur" dis-je.
Je porte une espadrille trouée. L'employé roux ne porte pas d'espadrille trouée. Il me tutoie.
La cliente élégante ne porte pas d'espadrille trouée. L'employé ne la tutoie pas.
Je ne dois pas sombrer dans la paranoïa.
Je dois agrafer la note d'intention importante.
La gérante brune de la photocopieuse voisine ne porte pas d'espadrille trouée. Elle ne me tutoie pas. Je ne la tutoie pas.
"Le gérant frisé de la photocopieuse voisine ne veut pas me prêter l'agrafeuse, est ce que je peux vous emprunter exceptionnellement votre agrafeuse ?" dis-je.
"Je vous en prie, monsieur, répond la gérante brune de la photocopieuse voisine.
"J'habite dans le quartier, je ne compte pas retourner dans la photocopieuse voisine. Les clients exagèrent certainement, mais je pense que je ne suis pas dans une situation de perpétuelle demande. Ma femme attend un enfant, évidemment je plaisante, je n'ai pas de femme. Je ne suis pas marié. Les femmes que j'ai fréquentées n'ont jamais voulu habiter avec moi. Elles ont toutes eu envie d'avoir un enfant avec moi, dis-je
"Vous désirez autre chose ?" interroge la gérante brune de la photocopieuse voisine.
La gérante brune de la photocopieuse porte des lunettes.
Je n'ai jamais emprunté son agrafeuse. Je n'emprunte pas les agrafeuses. Je n'emprunte pas les trombones. Mes moyens financiers me permettent d'acheter des trombones ou des agrafeuses. Je ne suis pas un parasite. "Bonne journée" affirme la gérante de la photocopieuse.
Je ne veux pas me réfugier derrière des illusions erronées. Mon blouson est constellé de taches de cambouis. L'espadrille de mon pied gauche est trouée. Je ne suis pas propre sur moi. Je ne demande pas de l'argent pour être propre sur moi. Je ne cherche pas à être propre sur moi. Je cherche à communiquer avec mon entourage. Il est impossible de vivre en dehors d'une communication réfléchie avec un entourage. L'Assistant du Délégué de l'Action Culturelle et Municipale attend ma note d'intention importante. Il communiquera le contenu de ma note d'intention importante dans les prochains jours. Sans note d'intention, il se verra dans l'impossibilité de communiquer ma note d'intention importante. Je suis responsable de mon inefficacité. L'agrafeuse n'est pas rangée dans la poubelle. Mon espadrille gauche est trouée. Une peau de banane est rangée dans la poubelle. Les dossiers écrits sont rangés dans des chemises cartonnées de différentes couleurs. J'avais le droit d'exiger une libre utilisation de l'agrafeuse. Zède ne possède pas d'agrafeuse. Zède n'agrafe pas. Je n'ai pas défendu mon droit. Le gérant frisé de la photocopieuse a défendu ses droits. L'exposition temporaire d'une espadrille trouée est incompatible avec la qualité et la célérité d'une photocopieuse. J'ai le droit de défendre ma personnalité. Mon espadrille trouée appartient à ma personnalité. Les clientes vieilles, laides et inutiles ont le droit de photocopier des Avis. J'ai le droit de photocopier des notes d'intention importantes. Je ne réclame pas un statut professionnel. Je réclame le droit d'agrafer la totalité de mes notes d'intention importante. Je ne gère pas une boutique de photocopieuses. J'ai le droit de me déplacer dans une espadrille trouée. J'ai le droit de me lever à une heure différente. J'ai le droit de me déplacer dans la voiture de grosses cylindrées de Doublevé. La mère de notre futur enfant ne photocopie pas des notes d'intention importante. Elle ne porte pas d'espadrille trouée. Elle n'agrafe pas des notes d'intention importantes. Nous ne défendons pas les mêmes droits. Nous attendons la naissance de notre futur enfant. Nous nous aimons.
Le flanc gauche de l'autobus s'immobilise contre l'aveugle. L'aveugle mange une crêpe.
Le gérant frisé range des chemises de couleur rouge sur des chemises cartonnées de couleur verte.
"Je pense qu'il y a un malentendu entre nous" dis-je.
La stagiaire enceinte descend de l'escabeau.
"Vous avez besoin de la photocopieuse ? interroge l'employé roux.
"Je n'ai pas l'intention d'appeler un représentant des forces de l'ordre municipal. Vous n'avez pas le droit de me refuser la libre utilisation de votre agrafeuse
"Monsieur plaisante, monsieur est un artiste, il aime plaisanter avec notre clientèle, affirme le gérant frisé
Je dissimule mon espadrille trouée derrière le flanc gauche d'une boîte de trombone.
La cliente élégante pince ses narines.
"Je n'ai pas de compte à rendre, nous vivons dans une Démocratie, le droit de parole et le droit d'agrafer appartiennent à la défense de nos droits les plus élémentaires. Nous devons tous oeuvrer pour le développement économique et culturel. Ma tenue vestimentaire et en particulier mon espadrille trouée gauche ne constituent en rien une entrave à un développement économique et culturel, dis-je
"Vous désirez un renseignement ?" demande le gérant frisé
"J'aimerais photocopier ces documents, ce sont des documents importants" précise la cliente élégante.
"Je vous demande une nouvelle fois et devant témoin de me prêter votre agrafeuse"dis-je
"C'est un ultimatum" dis-je.
La stagiaire enceinte heurte le porte parapluie. Le porte parapluie s'effondre.
"Vous êtes témoin, madame ? dis-je
"Excusez-moi monsieur, mais je ne vous connais pas, répond la cliente élégante.
"Repassez si vous le souhaitez dans l'après midi, nous trouverons certainement une solution pour résoudre votre petit problème" affirme la stagiaire enceinte.

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