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Travail, Famille, Mairie
de Pierre Merejkowsky

La voisine Enne boit du chocolat dans un bol marron.
Zède a modifié ses horaires de travail. Elle rentre le soir une demie heure plus tôt et elle part un quart d'heure plus tard le matin. Je n'ai pas modifié mes horaires. La voisine Enne a modifié ses horaires de travail. Elle part une demie heure plus tôt le matin et elle rentre une demie heure plus tard le soir. Elle a désormais le temps de boire du chocolat dans un bol marron clair. La Chef de Service de la voisine Enne lui a demandé dans un souci de cohérence de respecter les horaires de départ et de sortie du Service. Zède a demandé à son Chef de Service de changer de Service. Son Chef de Service a accepté de la changer de Service. Zède a changé de Service. La voisine Enne n'a pas demandé à son chef de Service de changer de Service. Elle n'a pas encore décidé de changer de Service. Elle changera peut être de Service.
Zède ne me demande pas de modifier mes horaires. Elle téléphone à sa cousine. Elle affirme qu'elle rentre une demie-heure plus tôt le soir. Elle ajoute qu'elle est très heureuse d'avoir réussi à changer de service. Il est inutile de perdre son temps dans un service qui ne remplit pas sa mission. Elle ne veut plus continuer à se sacrifier.
La voisine Enne prend une douche.
Je ne prends pas de douche. Je ne croise pas dans l'escalier la responsable du syndic de l'immeuble. Je ne croise pas dans l'escalier la responsable du syndic élue de la Mairie. La responsable du syndic élue de la Mairie est blonde. Je lis sur le canapé jaune le compte rendu imprimé des débats de la Mairie organisés à l'issue d'un Conseil Permanent consacré aux Affaires Culturelles et Territoriales. Zède téléphone à sa meilleure amie. Elle connaît sa meilleure amie depuis l'âge de seize ans et demi. Sa meilleure amie connaît Zède depuis l'âge de seize ans et demi. Zède annonce à sa meilleure amie qu'elle a changé d'horaire et qu'elle a changé de Service. Sa meilleure amie n'a pas changé d'horaire et n'a pas changé de Service.
La voisine Enne presse le bouton de la sonnette. J'ouvre la porte. Zède raccroche le téléphone. "J'ai changé d'horaire" dit Zède "J'ai changé de Service" ajoute Zède
La voisine Enne et Zède sont assises sur deux chaises. Une table basse sépare les deux chaises. La voisine Enne croise ses jambes. Zède croise ses deux mains. "Je ne me suis pas engueulée avec mon Chef de Service, l'inertie bureaucratique et la jalousie ont eu raison de ma révolte. Je ne veux plus me révolter. Je n'ai plus envie de ma battre contre la mauvaise foi et contre la jalousie de mes collègues. Je préfère me taire, je ne veux plus parler... Les gens ont décidé de se satisfaire de la médiocrité de leur quotidien, c'est leur problème, c'est leur choix, je dois respecter les choix que je n'approuve pas. Nous avons tous le choix de notre libre arbitre. Je ne voulais pas être indifférente. Ils m'ont rendu indifférente. Leur lâcheté a eu raison de ma révolte intérieure. J'ai accepté dans un souci de cohérence de respecter les horaires de l'Association qui m'emploie. J'ai signé un contrat, je dois respecter ma parole. L'Association agit contre ses propres intérêts. Je ne suis pas membre du Conseil d'Administration de cette Association. Je n'ai pas de compte à rendre au Président de cette Association. Je veux bien remplir honnêtement ma charge de travail, mais je ne veux pas être traitée comme une bonniche, je ne suis pas une bonniche, c'est une question de dignité, et toi tu vas bien ? demande la voisine Enne
"Il faut garder la tête haute, c'est une question de dignité. Toi et moi, nous ne sommes pas des bonniches" répète la voisine Enne.
Zède lave deux carottes. Elle ne téléphone pas. Je me lave les deux mains. Zède ne me demande pas de laver les deux carottes. Elle ne me demande pas de l'inviter au restaurant. Elle ne me demande pas d'acheter une voiture de grosses cylindrées, une belle auto, ou une grosse auto. Elle ne me demande pas de répondre au téléphone. Elle ne me demande pas de renoncer à fréquenter Doublevé. Doublevé ne me conseille pas de changer mon mode de vie. Igrèk ne me demande pas d'être le père géniteur de son futur enfant. Zède me demande d'être heureux. Elle ne veut pas que je sois malheureux. Son père géniteur et sa mère ne veulent que son bonheur. Ils sont heureux de son bonheur. Doublevé ne veut pas que je sois malheureux. Le Maire ne veut pas me rendre malheureux. Je ne veux pas rendre malheureux la femme qui m'aime.
J'aime mes parents. J'aime mes amis.
Je n'aime pas la responsable du syndic élue.
"Tu aimes les carottes ?" demande Zède
J'aime les carottes.
Zède est couchée dans son lit. Je suis couché dans le lit de Zède. La voisine Enne est couchée dans son lit. "Tu es libre de ne pas accepter d'être aimé" dit Zède. Les rideaux sont tirés. J'ai débouché l'évier. Je me suis lavé le pied gauche et la main droite. Un futur embryon exige de respecter l'intégralité des lois de l'hygiène la plus élémentaire. La syndic blonde de l'immeuble est couchée dans son lit.
Zède sanglote. Je ne sanglote pas.
Zède sanglote une fois par mois. Je ne sais pas pourquoi Zède sanglote une fois par mois. Zède ne m'a jamais accusé d'être le responsable de ses sanglots. Zède ne sanglote pas devant la voisine Enne. La voisine Enne ne sanglote pas devant Zède. La mère de la voisine Enne a mis fin à ses jours. Le père géniteur de la voisine Enne a déménagé. La voisine Enne ne sanglote pas en présence de la syndic blonde élue.
"Tu ne peux pas comprendre, je ne peux pas t'expliquer, je ne te demande pas de me comprendre, je te demande me pardoner, je ne veux pas te faire de la peine, je ne veux pas t'angoisser, je te demande de ne pas t'angoisser, je suis très heureuse d'avoir un enfant de toi, je voulais tellement avoir un enfant de toi, tu comprends ? Je voudrais que tu me croies, je suis énervée, je suis angoissée, j'ai peur, je ne veux pas mourir, je ne sais pas pourquoi la mère de la voisine s'est suicidée, je ne veux pas que tu te suicides, je ne veux pas que tu me quittes, je t'aime, je t'aime depuis le premier jour, je me souviens de tes yeux, je me souviens de ton premier regard, je ne veux pas te perdre, je voudrais partir en vacances avec toi, tu ne veux pas partir en vacances avec moi ?" demande Zède
"Pourquoi est ce que tu sanglotes ? dis-je
"Je ne veux pas te culpabiliser, je ne te demande pas d'argent, je suis parfaitement capable d'assumer financièrement la naissance de mon enfant, je voudrais qu'il porte ton nom, je ne te demanderai plus de descendre la poubelle avant de nous coucher dans mon lit, je te respecte, je t'ai toujours respecté, je ne sais pas pourquoi je pleure. J'ai de la peine. J'ai de la peine, c'est tout, je t'aime, je n'aurai pas un enfant avec un autre homme" ajoute Zède
Je ne me lave pas les mains. Je nettoie le bol marron.
Zède lit le compte rendu du fait divers dans le journal des informations. Une mère de famille a tué sa famille.
"Pourquoi est ce que tu pleures ?" dis-je.
"C'est horrible" dit Zède
Le journal des informations caresse la cuisse de Zède.
Le réveil ne sonne pas l'heure du réveil. La lampe de chevet de la voisine Enne éclaire le mur de la chambre de la voisine Enne. La voisine Enne ne dort pas. Elle n'a pas éteint la lampe de chevet. Je ne lis pas le journal des informations. Je mange une tartine beurrée avec du beurre de la Normandie. Zède boit du café décaféiné. "Je ne voulais pas te faire de la peine, je ne sais pas pourquoi je pleure, je n'ai aucune raison de pleurer, je suis très heureuse, tu me rends très heureuse, excuse moi, je t'en prie excuse moi, est ce que tu me pardonnes ?" dit Zède "Enne ne s'est pas couchée de toute la nuit, demain, elle sera épuisée pour aller travailler", ajoute Zède. Zède n'est pas épuisée. La voisine Enne sera épuisée pour aller travailler demain. Je ne suis pas épuisé. Je n'irai pas travailler demain matin. Je rédige dans ma tête les grandes lignes du résumé de ma note d'intention importante. Je suis responsable de ma tête. J'assume la rédaction de mes notes d'intention importante dans ma tête. Je ne cherche pas à décharger ma tête de ses responsabilités. Je ne sanglote pas. Je ne sanglote plus. Je n'ai jamais sangloté. Je rédige des grandes notes d'intention importante. "Enne m'a demandé de lire la lettre de son ancien mari je n'ai pas envie de lire les lettres de son ancien mari, je n'ai pas envie d'assumer ses peines de coeur, elle me manipule, elle te manipule, elle ne supporte plus son travail, elle est jalouse, elle n'a pas de copain, elle n'attend pas d'enfant, tu attends un enfant, je suis ton copain, je ne veux plus fréquenter Enne, ne me demande pas de la fréquenter, dis-je
"Je ne t'impose pas de fréquenter mes voisines, dit Zède
"Je ne t'empêche pas de fréquenter tes voisines, tu es libre de lire les faits divers du journal des informations, la vie en couple est parfois difficile à supporter, et quand j'étais enfant, les invités de mes parents représentaient pour moi une bouffée de liberté" dis-je
Le ventre de Zède tressaille. "Je t'aime, je n'aime que toi, je t'ai toujours aimé, je voudrais t'aimer pour toujours. Il bouge" complète Zède "Tu le vois bouger ?" ajoute Zède "Tu n'as pas envie de poser ta main sur mon ventre ?" demande Zède. "La mère infanticide a été condamnée" dis-je. "Je suis tellement heureuse" dit Zède "Elle a été condamnée à dix huit ans de prison, c'est bête de mettre sa vie en l'air d'une façon aussi stupide" dis-je. "Je voudrais que tu mettes un pantalon propre pour aller voir ma mère, ma mère est capable des pires extrémités, elle ne se contrôle pas, elle est incapable de se contrôler, elle m'a déjà frappée en public, mon frère ne m'a jamais frappé, mon père est épuisé, je voudrais que tu comprennes la situation, je ne peux pas t'expliquer, ma mère a beaucoup d'affection pour moi, elle veut que je sois heureuse, je ne peux pas tout t'expliquer, nous avons vécu des événements épouvantables, terribles, je ne peux pas les oublier (elle enfonce sa tête dans la taie blanche de l'oreiller jaune), tu ne peux pas comprendre, je ne veux pas te parler de ma mère, excuse moi, pardonne moi, je ne veux pas te faire de la peine, affirme Zède.
Je n'époussette pas la taie blanche de l'oreiller jaune. Je ne range pas la chaise. Je ne range pas la table basse.
Je range le bol marron.
"Je ne veux pas donner le change sur mon propre cas, je ne respecte pas les Lois de la Société, je n'ai pas envie de boire du thé à quatre heures et demi de l'après midi, j'ai accepté de lire les faits divers du journal des informations, et je n'ai pas envie d'enfiler un pantalon propre pour voir ta mère et ton père géniteur. Tu m'avais promis de ne pas m'imposer de modifier mon comportement quand tu m'as annoncé que tu étais enceinte, comment veux tu que je te fasse confiance, je ne peux plus te faire confiance, dis-je
"Je ne te demande pas de boire du thé, je te demande juste d'enfiler un pantalon propre
"Je n'ai pas de pantalon propre
"Je peux t'acheter un pantalon propre
"Je ne te demande pas d'acheter des pantalons propres, je ne suis pas un consommateur de pantalons propres, je ne t'impose pas d'enfiler des pantalons sales, je rédige de grandes notes d'intention importante, je ne peux pas te dévoiler le résumé de mes notes d'intention importante, je n'ai pas l'intention de dévoiler les grandes lignes du résumé de ma note d'intention importante en présence de ta mère, il est inutile d'essayer de transformer mon aspect physique, j'ai déjà essayé de transformer mon aspect physique, le résultat a été catastrophique, je ne bois pas d'apéritif, je ne fume pas, je ne regarde pas les quarts de finale du football, je ne veux pas me livrer à des pitreries vestimentaires, les vérités finissent toujours par apparaître au grand jour, il est inutile de transformer la vérité, mon père géniteur a raison, la vérité finit toujours par s'imposer" dis-je. "Je te demande juste de faire un petit pas" dit Zède "Je ne veux pas faire de petit pas, ta voisine essaye de me séduire, Doublevé pour des raisons que je ne m'explique pas essaye de nous séparer, les gens entretiennent des rapports de domination, je donne trop de prise à l'affection, je suis incapable de me montrer indifférent, j'ai un défaut, j'écoute, je passe ma vie à écouter, je voudrais vivre dans un monde de silence, pourquoi est ce que vous ne vous taisez pas. Taisez-vous.
"Tu veux que je me taise ?
"Tu attends un enfant, tu as besoin de silence, ta voisine parle sans cesse, je ne veux pas enfiler un pantalon propre, je ne veux pas rencontrer tes parents, il est inutile de rencontrer des parents, nous sommes responsables de nos actes, nous ne sommes pas responsables des actes de nos parents, les enfants ont le droit de rencontrer leurs parents, j'ai suffisamment rencontré mes parents pour le restant de mes jours, je ne suis plus tenu de rencontrer les parents des autres, je ne demande pas à tes parents d'enfiler un pantalon propre
"Je ne veux plus entendre parler de cette histoire de pantalon propre et je ne te demande pas d'être responsable de mes parents
"Je ne veux pas mettre de pantalon propre. Je n'ai pas de pantalon propre. Mes notes d'intention importante ne concernent pas la mise en service de pantalons propres, j'ai d'autres ambitions, j'ai d'autres ambitions, excuse-moi de me répéter, mais j'ai d'autres ambitions. Par contre, je suis prêt à me laver les mains après avoir lu le journal des faits divers et avant de passer à table le soir avant de me coucher et avant d'éteindre la lumière et de m'endormir. "Je t'en prie, n'essaye pas de me contrarier pour avoir le plaisir de me contrarier, je te demande juste de te laver les mains avant de dîner et d'enfiler un pantalon propre pour voir ma mère". "Je ne suis pas un irresponsable, ma mère a eu de grandes difficultés, elle a été contrainte d'assumer mon éducation, je ne suis pas un égoïste, je suis prêt à tenir compte de tes angoisses. Pourquoi es-tu si égoïste ? ". "Je ne suis pas égoïste". "Je ne te reproche pas d'être égoïste". " Je ne veux pas me laisser enfermer dans un système que je désapprouve, je ne mettrai pas de pantalon propre, je ne suis pas un exclu de monde moderne. Ta voisine s'occupe de réintégrer les exclus du monde moderne, je n'impose pas mes choix, je ne cherche pas à réintégrer les exclus du monde moderne". "Tu n'es pas un exclu". "Je n'ai jamais dit que j'étais un exclu du monde moderne". "Pourquoi dévies tu toujours le sens de la conversation ?". "Je repousse les limites de mon enfermement, j'appartiens à une minorité, je suis une minorité, je suis isolé, la société nous opprime, nous vivons dans état totalitaire". "Je ne te parle pas de l'Etat". "Moi je parle de l'Etat et je ne veux pas te laisser pleurer, j'aimerai savoir pourquoi tu sanglotes une fois par mois ?". "Je ne veux plus répondre à tes questions, je ne suis pas aussi compliquée que toi, j'ai sommeil, tu ne veux pas éteindre la lumière ? (Sa chevelure dessine une tache sombre sur la taie blanche de l'oreiller jaune et sur la chemise de nuit que sa mère a acheté l'été dernier, ou bien à la date anniversaire de ses trente cinq ans, je ne sais plus, Zède dispose de plusieurs chemises nuit, et je ne fais pas la différence entre ses différentes chemises de nuit. Je ne dors pas avec une chemise de nuit). J'éteins la lumière. La voisine Enne n'éteint pas la lumière.

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