|
Travail,
Famille, Mairie
de Pierre Merejkowsky
"Je n'ai jamais
cherché à te déstabiliser, j'espère que tu
es d'accord sur le fait que je n'ai jamais cherché à te
déstabiliser ? demande Doublevé
"Je t'ai peut-être donné des mauvais conseils, mais
je n'ai pas cherché à te donner de mauvais conseils, j'ai
cru répondre à tes questions, mes réponses étaient
peut être des réponses erronées, mais je ne t'ai jamais
posé de question
"Je ne te pose pas de question et je ne pose pas de question à
Zède, dis-je
"Tu as parfaitement raison de ne pas poser de question à Zède
ou à Igrèk. Il est préférable de s'abstenir
d'exposer le récit de nos activités sexuelles passées,
ajoute Doublevé
"Un couple a le droit de préserver sa vie privée. Je
n'ai jamais cherché à téléphoner à
ta copine, dis-je
"Je ne suis pas différent de toi, je prends tous les matins
un café avec toi dans cette brasserie, c'est une brasserie qui
est fréquentée par deux femmes Juges pour enfants et par
des retraités qui boivent des demis, je ne cherche pas à
influencer les femmes Juges pour Enfants, ajoute Doublevé
"Je ne te juge pas, tu ne me juges pas, tu m'as souvent accusé
de te juger, je ne te reproche pas de dresser des actes d'accusation contre
les personnes qui t'aiment ou qui apprécient ta compagnie, tes
accusations sont un effet de ton excès de sensibilité, n'essaye
surtout pas de modifier ton comportement, ton excès de sensibilité
fait partie intégrante de ton personnage, je n'aime pas les Juges
pour Enfants, je ne recherche pas la compagnie des Juges pour Enfants,
les Juges pour Enfants agissent en accord avec la légalité,
elles ont le droit de m'interdire de fumer, je ne cherche pas à
m'opposer à la Loi, je ne suis pas opposé au respect de
la Loi, tu as certainement des raisons justifiées pour t'inciter
à t'opposer à la Loi, je ne t'ai pas demandé de justifier
tes raisons, je ne t'ai pas accusé, je n'ai pas cherché
à influencer ton ami psychiatre, je ne te reproche pas de parler
à ma copine, tu as parfaitement le droit de parler, je ne comprends
pas pourquoi nous perdons du temps à créer des conflits
qui n'existent que dans notre imaginaire. Tu as certainement beaucoup
d'imagination, et je ne pense pas que ton ami psychiatre que tu as rencontré
une nuit en pleine rue soit capable de t'aider à vivre. Toi et
moi nous n'avons pas besoin d'aide. Nos copines finiront par se lasser
de notre relation paranoïaque. Nous n'avons pas intérêt
à remplacer nos copines par d'autres copines. L'heure du silence
a sonné. L'équilibre psychologique, familial, matrimonial,
ancestral passe par le silence. Il faut se taire. Tais toi. Taisons nous.
Taisez vous, complète Doublevé
"Excusez moi, vous me parlez ? demandent les deux juges pour Enfants
"Non, je me tais, dit Doublevé
"Nos copines en ont assez de nos questions. L'humanité ne
supporte plus les questions. La radio municipale ne pose pas de questions,
ajoute Doublevé
"J'espère que tu es d'accord avec moi sur ce sujet ? demande
Doublevé
"Le Maire ne m'a jamais posé de question, dis-je
"J'apprécie le flot de tes questions, reprend Doublevé
"Je ne cherche pas à te convaincre, dis-je
"Vous pouvez parfaitement fumer dans le coin réservé
aux fumeurs, affirment les deux femmes Juges pour Enfants
"Nous ne vous avons pas demandé de vous taire, c'est un malentendu,
dis-je
"Je vous en prie je ne vous ai pas adressé la parole, dit
Doublevé
"Excusez-moi, je ne voulais pas vous déranger, disent les
deux femmes Juges pour Enfants
"Igrèk n'aime pas l'humanité. Tu ne t'aimes pas, reprend
Doublevé
"Je n'ai jamais dit que j'avais l'intention d'oeuvrer pour le bien
commun
"Contrairement à Igrèk, tu te demandes encore pour
quelles raisons tu n'aimes pas l'humanité.
"Je ne regrette pas mon attitude, je ne fume pas, ni dans les lieux
publics, ni dans les lieux privés
"Je ne pense pas que nous devons regretter notre attitude, je ne
t'ai pas déconseillé d'avoir un enfant avec Zède,
tu m'as peut être demandé mon avis, je t'ai donné
mon avis sur cette question, c'était peut être un mauvais
avis, mais je n'ai pas essayé de te manipuler, confirme Doublevé
"Je ne t'ai jamais reproché de m'avoir entraîné
à fréquenter des comédiennes que je n'avais pas envie
de fréquenter, dis-je
"Dans ce cas, pourquoi m'accuses tu de te manipuler ? demande Doublevé
"Tu n'as pas directement cherché à me manipuler. Je
ne t'ai pas demandé de t'associer à la rédaction
de mes notes d'intention importante
"Vous travaillez dans le cinéma ? demandent les deux femmes
Juges pour Enfants
"Je vous en prie, madame, n'insistez pas, dit Doublevé
"Je ne vous ai jamais demandé de me laisser fumer, dis-je
"Vous n'êtes pas très tolérants, notent les deux
femmes Juges pour Enfants
"Je ne veux pas te décevoir, j'aime l'humanité, reprend
Doublevé
"Tu as exprimé le souhait d'inviter une comédienne,
c'était ta propre initiative et je n'ai jamais porté de
jugement de valeur sur tes initiatives, je n'ai aucun point en commun
avec les femmes Juges pour enfants qui te rappellent qu'il est interdit
de fumer dans les lieux publics conformément aux lois votées
par les deux Chambres
"Je n'ai jamais voulu participer à la rédaction de
tes notes d'intention importante, j'espère que tu me rendras cette
justice, affirme Doublevé
"Tu m'avais laissé entendre que la comédienne accepterait
de nous prêter la voiture de son arrière-grand-père
"Mes sous-entendus n'ont jamais eu aucune prise sur la rédaction
de tes notes d'intention importante
"Je ne te reproche pas de te déplacer dans une voiture de
grosses cylindrées.
"Ta confiance m'a toujours réconforté
"Une apprentie comédienne a parfaitement le droit de se laisser
séduire par la proposition désintéressée d'un
déplacement dans une voiture de grosses cylindrées
"Je ne supporte plus l'audition de tes actes d'accusation
"Je ne t'accuse pas
"Je me suis ridiculisé. J'ai invité cette comédienne
dans un restaurant et ensuite je n'ai plus eu d'argent pour mettre de
l'essence dans la voiture de grosses cylindrées, tu comprends ?
"Est-ce que tu es d'accord avec cette interprétation de mon
absence de mensonge, insiste Doublevé
"La comédienne a dîné avec toi dans un restaurant,
c'était son choix, dis-je
"Les comédiennes ont parfois adopté une attitude extrême
à notre sujet. Elles ont estimé que ma voiture de grosses
cylindrées était le gage de leur future réussite.
Leurs copains ont par contre estimé que j'étais un mythomane
malfaisant, je ne suis pas responsable des ragots qui sont régulièrement
colportés sur mon compte
"Je n'ai jamais colporté de ragots sur ton compte
"Je ne suis pas un ennemi du mensonge. Nos journées sont souvent
longues et interminables. Les comédiennes ont le devoir de défendre
leur carrière professionnelle. Je ne cherche pas à défendre
ma carrière professionnelle, je ne suis pas une carrière
professionnelle, tu as une carrière professionnelle à défendre,
tu as de la chance d'avoir un but à atteindre, une défense
à institutionnaliser, c'est ton choix, et je ne remets pas en cause
ton choix. Ma copine ne s'est jamais permise la moindre critique contre
la rédaction de tes notes d'intention importante, ajoute Doublevé
"Tu es d'accord, n'est ce pas ? précise Doublevé
"J'espère que tu es d'accord avec moi, je n'ai pas envie de
remettre en cause notre amitié pour un motif aussi futile, complète
Doublevé.
"Je ne remets pas en cause notre relation paranoïaque, je n'ai
jamais revendiqué ton assentiment, je privilégie simplement
la rédaction de mes notes d'intention importante. Je ne me laisserai
pas manipuler. Je n'ai jamais affirmé que je t'avais incité
à inventer que tu étais un producteur de cinéma.
Je suis peut être un manipulateur, mais je ne suis pas un détracteur
systématique de ton style de vie
"Je ne t'ai jamais reproché de me manipuler. Ma mythomanie
permanente a été commanditée par les réflexions
des copains des comédiennes. Ils ont trop souvent manifesté
clairement leur désir de dominer la situation. J'ai très
rapidement compris qu'ils n'avaient pas envie de se laisser dépouiller
de leur privilège
"Je ne condamne pas les privilégiés de notre démocratie
"Ces copains exercent une fonction de régulation des anxiétés
de leurs copines comédiennes et la voiture de grosses cylindrées
risquait de balayer toutes leurs certitudes.
"Je refuse de remettre en cause mes certitudes
"Nos certitudes sont dépendantes de nos psychismes. Les comédiennes
dorment, mangent et se reproduisent indépendamment de tes certitudes.
La fonction de producteur qui découlait de la fréquentation
assidue des banquettes en cuir de ma voiture de grosses cylindrées
risquait de remettre en cause l'apaisante influence de leurs copains attitrés
"Je ne t'ai jamais incité à acheter une voiture de
grosses cylindrées
"Mais qu'est ce que tu me reproches exactement ?
"Je vous souhaite une bonne fin de matinée, disent les deux
femmes Juges pour Enfants
"Nous devons nous assumer, la Démocratie consiste à
insérer nos contradictions dans l'ensemble des valeurs reconnues
par la société. Nous ne sommes pas des sauvages. Tu as organisé
un casting sauvage dans la maison de campagne de la grand-mère
qui a acheté la voiture de grosses cylindrées. C'était
sans aucun doute une heureuse initiative.
"Bonne journée, madame la Juge pour Enfant, dit Doublevé
"Je n'ai jamais été amoureux de ces comédiennes,
dis-je
"Vous vous méprenez sur mon compte, je ne suis pas une juge
pour Enfant, s'exclament les deux femmes Juges pour Enfants
"Je ne veux simplement pas te laisser m'enfermer dans une relation
qui te conduira à faire le vide autour de moi. Je n'ai pas interdit
à Igrèk de t'inviter dans son appartement. Je ne suis pas
responsable de son attitude. Je n'ai jamais critiqué ta voiture
de grosses cylindrées et je n'ai pas pour principe de critiquer
l'organisation de casting sauvage dans des maisons de campagne
"Je ne pouvais pas me laisser manipuler et mépriser sans réagir.
"Je ne t'ai jamais méprisé. Tu acceptes d'écouter
les récits de mes déceptions sentimentales et je te suis
redevable de ta gentillesse. Je ne suis pas égoïste. J'ai
préféré mettre un terme unilatéral à
une relation affective multiple. J'ai cessé de penser à
Igrèk.
"Je n'ai jamais critiqué ton comportement sexuel.
"Je ne te reproche pas de me critiquer, je te reproche de me conduire
à renoncer à mes appuis. La rédaction de mes notes
d'intention importante dépend de mes appuis. Je ne peux pas perdre
un seul de mes appuis. C'est certainement ridicule, mais je suis dans
l'impossibilité de renoncer à perdre un seul de mes appuis.
C'est certainement une marque de faiblesse. Je suis coupable
"J'attendais un peu plus de solidarité de ta part ainsi que
je me suis permis de te l'écrire dans la lettre que je t'ai envoyée.
J'espère que tu l'as lue.
"Donc si je comprends bien je suis coupable n'est ce pas ?
"Personne ne parle de culpabilité
"Donc, je ne suis pas coupable. Je suis innocent. J'ai lu attentivement
ta lettre. J'ai pour habitude et pour principe de lire attentivement les
lettres qui me sont adressées.
"Je n'ai jamais parlé de ta culpabilité
"Je ne veux pas me sentir déchiré entre des rapports
de force qui m'isolent toujours d'avantage
"La voiture de grosses cylindrées n'était pas plus
coupable que les propos apaisants des copains des comédiennes.
Dans les deux cas, il s'agissait de s'assurer le contrôle d'une
relation affective. Je n'avais aucune raison d'abandonner les avantages
que pouvaient me procurer la fréquentation d'une comédienne
"Je te demande instamment de t'abstenir définitivement de
remettre en cause les appuis que j'ai péniblement réussi
à conserver au fil de la rédaction de mes notes d'intention
importante
"Tu as affirmé qu'une comédienne pouvait attirer d'autres
comédiens
"Je suis capable d'assumer mon irresponsabilité, j'ai des
grands projets, je ne suis pas encore mort et je suis encore capable de
vivre. J'ai certainement eu raison de choisir de renoncer à fréquenter
Igrèk. La difficulté ne vient pas d'un problème moral,
mais d'une organisation de la société. Je suis le père
géniteur futur d'un futur enfant. Mes relations sexuelles obéissent
à une relation amoureuse. La création d'un enfant est un
acte d'amour. Zède m'aime.
"Je n'ai jamais prétendu que cette comédienne avait
éprouvé à mon égard un quelconque sentiment"
affirme Doublevé.
Mon ami psychiatre traverse la rue. Il porte une sacoche en cuir sous
le bras. Il me serre la main droite. Il ne serre pas la main droite de
Doublevé. Il affirme qu'il est très content de prendre par
hasard de mes nouvelles. J'affirme que je suis pas un manipulateur et
que j'ai cessé d'être du jour au lendemain l'amant de Igrèk.
"Nous sommes tous coupables" affirme mon ami psychiatre.
Zède essuie ses pieds sur le paillasson.
J'essuie un bol.
"Tu as passé une bonne journée ? demande Zède
"Oui, dis-je
"Qu'est ce que tu as fait ?
"J'ai écrit une nouvelle note d'intention importante, et j'ai
bu un verre avec Doublevé, dis-je
"Doublevé va bien ?
"Il va très bien".
+ suite
|
|