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LA PROJECTION
(chronique pénitentiaire)
de Pierre Merejkowsky
MANIFESTE
10H34
Je téléphone à la Préfecture.
"Allo" dis-je
"Que désirez vous?" demande la voix féminine
"Je voudrais savoir à quelle heure vous comptez interdire
la circulation automobile
"Ne quittez pas"
"Allo? dit la voix masculine
"Bonjour, dis-je
"Que désirez vous?
"J'aimerais savoir si vous comptez interdire prochainement la circulation
automobile?
Une sonnerie brève
"Je vous écoute, dit la seconde voix féminine
"Bonjour madame, dis-je, j'aimerais savoir si vous avez l'intention
d'interdire les voitures dans Paris
"Qui êtes vous monsieur?
"Je m'appelle Pierre Merejkowsky
"Vous intervenez à quel titre?
"J'ai mal à la gorge, j'ai les yeux qui piquent et comme je
me déplace exclusivement en vélo j'aimerais avoir des précisions
sur une éventuelle mesure d'interdiction de la circulation automobile,
s'il vous plaît madame, excusez moi de vous déranger, madame
"Vous êtes journaliste?
"Non
"Nous ne répondons pas aux questions des particuliers, nous
ne répondons qu'aux questions des journalistes, au revoir monsieur".
11H31
Second coup de téléphone. C'est G.
G habite dans l'Aveyron, à la campagne.
L'Agence du Court Métrage ne sélectionnera pas son court
métrage. Il n'a pas été primé dans un Festival
organisé par l'Agence du Court Métrage. Je lui donne les
Coordonnées du Festival "RESISTANCES" qui vient de se
créer en Ariège
G me remercie.
L'information en province circule mal et il est regrettable que l'information
soit diffusée depuis Paris.
14H01
Défilé ininterrompu de papistes
Je prends la parole:
"Je tiens à élever une solennelle protestation. Je
n'ai pas le droit de projeter des films super 8 dans la rue et vous, vous
avez le droit d'installer des toilettes sur la voie publique. C'est une
honte.
"Soyez un peu plus tolérant, vous faites du vélo, et
on vous dit rien, réplique poliment un volontaire
23H17
Tollé dans la salle de cinéma classée "Art et
Essai" par le CNC.
"Vous n'avez pas le droit de critiquer une réalisateur qui
a eu le grand Prix du Documentaire Art et Essai s'égosille un spectateur
"Et puis à quel titre intervenez vous, questionne une spectatrice
en brandissant un exemplaire des Cahiers du Cinéma
Je précise ma position
"Je suis attaqué. Je me défends. Votre documentaire
affirme que l'idéologie a sombré dans les poubelles de l'histoire.
Je t'interdis de me traiter de poubelle. Je ne suis pas une poubelle.
Nous luttons. Nous créons des réseaux de diffusion parallèle.
Le mouvement squat prend de plus en plus d'importance. Nous refusons de
cautionner le système culpabilisant du RMI, nous exigeons un revenu
minimum garanti et à vie, sans le flicage de ta presse, de leurs
journaux, et des diverses télévisions culturelles qui renforcent
notre culpabilisation. Nous vivons dans un système de censure.
Tu es un collabo. Tu nous incites toi aussi par ton documentaire à
nous cloîtrer avec une femme, un bébé et un perroquet
des Iles. Et tu as en plus le culot de nous bassiner avec l'évocation
de massacres afin de nous laisser entendre qu'ici nous sommes libres et
que nous n'avons plus rien à revendiquer
"Je te remercie de ton intervention, elle prouve que mon film ne
t'a pas laissé indifférent. Moi je navigue à vue.
Un film est une succession de compromis. Je ne suis pas un réalisateur
qui place sa création au-dessus de la collectivité. Et je
crois faire preuve d'honnêteté en reconnaissant mon impuissance"
conclut l'ancien dissident et réalisateur US.
23H59
Au café
Avec V. le Peintre.
"Elles ont raison. Je m'entoure de courtisans futiles qui se délectent
de mes clowneries idéologiques. Je ne lutte que pour ma propre
jouissance sociale et sexuelle, dis-je
"Nous sommes toi et moi tenus de continuer à peindre et à
tourner des films. Nous n'avons pas d'autre solution et nous n'avons pas
de compte à rendre tant que nous sommes honnêtes et sincères
avec nous mêmes" affirme V.
suite JE NE VEUX PLUS CHERCHER DU TRAVAIL...
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