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Les rapports vert, gris et vert-de-gris
(cinéma expérimental, linstitutionnalisation impossible)

 

Contre-rapports en série

Une ligne de partage s'est dessinée au sein des différentes commissions entre d'un côté Ceton, Noguez et Rollin, de l'autre Lowder, Rey et Fihman. Giovanni Martedi, responsable de l'Omnium des Cinéastes (où il montre " tout ce que la Terre contient de cinéastes expérimentaux ") et septième membre du groupe d'études chargé de rédiger ce rapport vert, fait cavalier seul en publiant quelques " observations et remarques ". Il y critique la récupération totale du débat par les trois principales coopératives et reprend un rapport de l'Independant Film Community pour rappeler que " le film indépendant a souvent été le plus grand ennemi de lui-même : c'est une communauté d'individualistes où les querelles internes et les divisions ont rendu plus difficiles l'attirance du soutien des institutions ". Rejetant les particularismes, il cite Pontus Hulten : " D'ici quelques années nous ne parlerons probablement plus du tout de "film" comme on le fait aujourd'hui. À une époque où l'image, et surtout l'image en mouvement : film, vidéo, télévision, dominent tous les autres moyens d'expression, il est aussi peu intéressant de parler de film que de dire "mot imprimé" pour désigner une fiction, une fiche signalétique, ou une facture. Il y a autant de types de films qu'il y a de romans et de quotidiens, de dépliants de publicité et d'enquêtes ou de poèmes ". Nous ne sommes qu'en 1978 et l'heure est à la négociation des systèmes d'aides à mettre en place. Le rapport vert, qui doit être discuté lors d'un second colloque, est envoyé à de nombreux cinéastes, et plusieurs contre-rapports viennent cet été-là s'ajouter à celui de Martedi, précisant certains des enjeux ou conflits sous-jacents.

Maria Klonaris et Katerina Thomadaki, toutes deux cinéastes, publient en août et coup sur coup deux communiqués. L'un pour retirer officiellement leurs films du c.j.c., dont elles contestent les méthodes, l'autre pour commenter le rapport vert, en prévision de leur absence au prochain colloque. Si elles n'avaient pas été invitées au colloque d'Avignon, c'était pour ne pas gêner le " directoire " du c.j.c. : militants pour l'abolition de la compétition dans les festivals (leur préférant des " rencontre-expositions " où l'argent des prix est investi dans la location des copies et où les membres du jury font des ateliers-débats plutôt que de la sélection), elles avaient retiré l'Enfant qui a pissé des paillettes de la compétition du festival de Toulon (ex-Hyères) en 1977 : la direction du Festival menaça de supprimer définitivement la section Cinéma Différent (qui brassait beaucoup moins de public que la section " normale " et dite d'Aujourd'hui) et usa de mesures de rétorsions à l'encontre des cinéastes, le jury leur attribuant tout de même un prix spécial… Elles ne nomment pas explicitement Marcel Mazé dans leurs communiqués, mais contestent le fait que " plusieurs membres du Collectif appuient de diverses manières la compétition et le festival d’Hyères, la sélection est effectuée par une seule personne, la même tous les ans, c'est cette même personne qui sélectionne de plus les membres du jury, et est en même temps président (permanent) du c.j.c.… " Elles lancent par ailleurs l'expression d'" indépendants indépendants " pour qualifier les cinéastes qui n'adhèrent à aucune coopérative et contestent la tendance du rapport vert à ne reconnaître que les membres d'une structure de diffusion, le statut de cinéaste indépendant/e ne pouvant " être réduit à l'adhésion à une coopérative ". Les deux cinéastes proposent d'élire la commission gérant l'aide directe aux cinéastes selon le procédé " le plus démocratique possible " afin de les attribuer à un nombre maximum de cinéastes et d'éviter la compétition inhérente aux modes de sélections restrictifs. Le projet le plus vital est pour elles la création d'un espace de présentation permanent, qui pourrait aussi être un véritable " lieu d'identité " pour les cinéastes tout en leur apportant un soutien logistique et matériel important (secrétariat, archivages, centralisation des copies et matériels de projection, sur le modèle de ce qu'est devenue l'Agence du Court-Métrage). Elles rappellent enfin l'intérêt des " lieux d'exposition des films (galeries, musées, maisons de la culture) " face aux salles art et essai qui, construites à partir des normes du cinéma industriel, excluent d'office le super 8 et le cinéma élargi.

Le " rapport gris " de KMP

Rédigé au cours de l'été par Kirchhofer, Meichler et Wharry, il y est question du " compromis des papes concluant en bons partenaires que les aides les moins problématiques sont l'aide à la diffusion (donc le contrôle de tout ce qui se passe) et l'aide individuelle (donc le contrôle de ce qui pourra se faire), l'aide à l'atelier de production et à l'espace de présentation, collectifs, devenant annexes ". Ce document rappelle en outre que " la proposition d'aide formulée par le c.n.c. se définit clairement comme une demande d'unification de tous les groupes vis-à-vis des instances officielles, la composition des jurys reste le grand non-dit. (…) Ce n'est pas au cinéaste de faire l'étude d'un chargé de mission du Ministère de la Culture, c'est au cinéaste de définir son besoin réel et l'ordre des urgences et à l'État de répondre en priorité aux besoins de la majorité des cinéastes ". On y parle de rapport de classe conflictuel déterminant " et de certains cinéastes qui " confondent " leurs intérêts personnels avec l'intérêt général. Le rapport cite l'exemple de la London Film Maker's Coop, qui a fait l'acquisition (qualifiée d'" idéologique ") de machines de production afin de garder son autonomie vis-à-vis de l'État. " Du fait d'une certaine interprétation de la notion de collectif et de coopérative, les structures constituées en France restent axées sur la distribution et les cinéastes indépendants sont toujours aussi seuls et isolés, sur le plan de la production, qu'au début du siècle. " Il rappelle que les aides individuelles ne concernent jamais qu'un très faible pourcentage de cinéastes et reproche au groupe d'études de se baser sur un état de fait — la débrouille initiale de chacun — et non sur un projet qui tendrait à favoriser des conditions de travail viables pour tout le monde. Contre la notion de coopérative des coopératives, " qui nous rapproche d'une noble définition du fonctionnaire : celui qui sert l'intérêt public ", il s'agit enfin d'imposer une fédération de cinéastes, et non des divers groupes existants, ce qui apparaît comme une garantie d'indépendance et permettrait d'éviter d'éventuels jeux de pouvoir.



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