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Les rapports vert, gris et vert-de-gris
(cinéma expérimental, linstitutionnalisation impossible)

 

Le colloque d'Avignon

La première réunion interne au " mouvement " a lieu le 1er avril 1978 et a pour but de jeter les bases du prochain colloque, qui doit se tenir en Avignon. Le Collectif et la Coopérative, principaux tenants du courant " différent " et enclins, comme beaucoup à l'époque, à certaines visées politiques, pour ne pas dire révolutionnaires, posent les bases d'un " complexe " comprenant un atelier de production et un espace de présentation ouverts au plus grand nombre et dont la gestion serait confiée aux trois collectifs. Pour la Paris Films Coop, les groupes de diffusion ne devraient s'occuper que de diffusion, collectivisation rime avec normalisation et elle conteste le côté restrictif de ce type d'aide, " correspondant à des besoins standards de cinéastes ayant fait peu de films et reproduisant les systèmes autoritaires et de terreur des fédérations de ciné-clubs ". C'est la toute première réunion mais tout est déjà dit, ou presque. Les colloques qui suivront ne feront que développer ce genre d'arguments, entérinant le clivage idéologique de cette guerre des chefs (et sous-chefs) du cinéma indépendant.

" Je suis ici pour étudier avec vous comment sortir de l'impasse liée au fait de l'existence du cinéma commercial ". C'est par ces mots que s'ouvre la réunion en Avignon des 13 et 14 mai 1978, intitulée " Aide de l'État au cinéma indépendant ", et c'est Jack Gajos, alors responsable du secteur art et essai et de l'action culturelle au cnc, qui le dit. S'il soumet l'idée d'une programmation hebdomadaire dans les salles classées Recherche, c'est parce que, outre le fait de prendre sur ses crédits l'organisation de cette suite de rencontres (via une aide aux salles Art et Essai d'un montant de 20 000 F), c'est la seule chose qu'il puisse faire. Il refuse par ailleurs de faire le choix d'aider telle coopérative plus que telle autre et de n'avoir que cinq ou six interlocuteurs, il veut une " base commune ". L'objectif est de " discuter des problèmes rencontrés et d'envisager la question d'une organisation possible du secteur indépendant en France ". Organisé par Rose Lowder, cinéaste et programmatrice basée en Avignon (elle y a déjà programmé tous les films du Collectif et de la Coopérative, entre autres) et dont la rencontre avec Jack Gajos avait déclenché cette nouvelle attitude du c.n.c., il s'agit de réunir ceux qui " s'étaient investis dans les questions de gestion et d'organisation du cinéma indépendant et avaient déjà eu des contacts avec les institutions ", vingt-cinq personnes au total. Sous la pression de certains, accusés dans la revue Melba de " fausser l'optique et l'objectif de départ ", certains cinéastes s'auto-invitent : les enjeux sont trop importants, et les tensions tellement larvées qu'il semble hors de question de laisser quelques-uns décider pour tous les autres.

" Nous sommes demandeurs d'aide, mais pas à n'importe quel prix " (Guy Fihman). Mais qui aura droit à quoi, et selon quelles modalités, qui fera partie de la commission dite " insoupçonnable " censée répartir les aides, ses membres seront-ils élus, et par qui, ou désignés par le c.n.c.… ? Les cinéastes sont-ils indépendants, expérimentaux ou différents parce qu'ils s'en donnent collectivement les moyens ou bien parce qu'on leur permet, individuellement, de développer leur art ? Avignon devient le théâtre d'une guerre de clans où tout le monde a peur de la " bureaucratie " des autres tout en se traitant de cons, d'incompétents et d'ignorants… Au final, la polémique a tellement enflé que même Gajos s'énerve : " J'étais sur la route de Cannes alors moi je m'en fous ! ", quant à Fihman, excédé : " Les gens ne maîtrisent pas ce qui risque de se passer, il vaut mieux à la limite qu'on reste encore quelques années sans aides… ". La réunion se clôt sur une bataille rangée pour savoir qui continuera à représenter le mouvement auprès du c.n.c. : un groupe de travail est constitué, composé de différentes commissions travaillant aux divers aspects des enjeux et projets à définir et qui rendent en juillet un rapport (vert) détaillant leurs propositions avec force référence aux différents modèles d'aides préexistants.

Le rapport vert

Le rapport de la commission sur les aides directes, signé Claudine Eizykman (et contesté par le Collectif et la Coopérative), parle du risque de " prolifération artificielle et opportuniste de cinéastes dits " indépendants " et de groupes de diffusion " et de mise en place d'une commission d'attribution des aides constituées de " cinéastes et critiques agréés ". Les critères " étroits " qui définissent un(e) cinéaste indépendant vont de l'ancienneté dans le milieu à la propriété des droits de tous ses films et portent sur la " qualité " du travail, excluant les " non-cinéastes indépendants-expérimentaux ". On y parle du modèle américain d'aide aux domaines culturels et d'avant-garde, des aides publiques et des fondations privées tel le mécénat de Ford qui, en 1964, donna un coup de fouet à treize cinéastes en particulier et au mouvement underground en général, concluant que " l'aide directe est un encouragement essentiel à l'innovation formelle ".

La commission sur les moyens collectifs de production parle quant à elle de " consultation démocratique " des cinéastes en vue d'acheter le matériel 16 mm et super 8 de base (tireuse, tables de montage, développeuse, truca, projecteurs, plus deux équipements de tournage cinéma et vidéo). Jean-Pierre Ceton propose la création d'un espace de production à Paris, où sont concentrés la majeure partie des cinéastes, géré par une fédération des coopératives ; Georges Rey, basé à Lyon et donc hostile à toute forme de parisianisme, préfère quant à lui une association indépendante regroupant l'ensemble des cinéastes.

La commission d'aide à la programmation propose d'organiser des programmes itinérants de films dans la vingtaine de salles classées Recherche, histoire de resituer les fonds " art et essai " dans leur juste optique, ainsi que d'aider les festivals et lieux culturels hors marché industriel du cinéma, seuls à même de programmer certains types d'œuvres (notamment l'expanded cinema) et d'effectuer le nécessaire travail de prospective. Elle rappelle que la diffusion irrigue tout le système, drainant les nouveaux spectateurs, fidélisant les amateurs et procurant les seuls, rares et maigres revenus de ces cinéastes : c'est de fait le seul facteur de développement économique du mouvement, les coopératives, qui s'occupent exclusivement de diffusion, étant là pour le prouver.

Dans ses recommandations générales, le groupe d'étude " suggère… souhaite… recommande… ", mais n'arrive pas à conclure : faut-il une association de cinéastes indépendants et expérimentaux, une fédération des coopératives ou bien gérer ces différentes aides sans structure unitaire mais par la création de structures spécifiques ? Il note également que la conservation des films, la publication de textes sur le cinéma expérimental ainsi que les rapports avec les universités et les écoles des beaux-arts devraient être approfondis. Il évoque enfin la création d'un espace de présentation lié (ou non) à l'espace de production et adapté aux exigences des " films indépendants, différents et expérimentaux " (les salles classiques n'autorisant pas l'expanded cinema, par exemple), ainsi que d'une possibilité d'aide commune aux différentes structures de diffusion, sujet qui n'avait pas été abordé en Avignon.

 



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