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Les rapports vert, gris et vert-de-gris
(cinéma expérimental, l'institutionnalisation impossible)

 

Des films sauvages posés comme une verrue sur le cinéma français : durant les années soixante-dix, le CNC (Centre national de la cinématographie) a bien du mal à abandonner un parti-pris ouvertement négatif à l'encontre du cinéma que l'on appelle globalement aujourd'hui " expérimental " . Officiellement, c'est la pluralité des demandes qui motivait alors (et verbalement) ses refus d'aides. En 1978, le CNC, en la personne de Jack Gajos, décide de faire un geste à destination de ces cinéastes jusque-là totalement ignorés des pouvoirs publics en les invitant à déterminer eux-mêmes les mécanismes d'aide à mettre en place. Cette proposition est cependant soumise à une condition préalable : l'unification des demandes au sein d'un projet commun, " les cinéastes indépendants dans leur ensemble devant s'entendre sur les procédures et moyens pour y arriver ".

La France, qui se glorifie d'être le berceau et le principal défenseur du 7e art, accuse à l'époque (mais encore aujourd'hui) un certain retard face aux pays anglo-saxons, où plusieurs fondations et organismes publics et privés aident depuis longtemps déjà, sous forme de subventions et de bourses, des projets de films-non narratifs, non-figuratifs et hors critères de rentabilité. En France, l'institution cinématographique s'est totalement structurée autour de l'idée que le cinéma est un art exclusivement industriel. Tout restait donc à faire pour cette minorité jusque-là ghettoïsée, mais de plus en plus active et nombreuse à l'époque. Les cinéastes indépendants ont depuis toujours navigué à vue entre l'autogestion, la débrouillardise et les quelques tentatives de régulation interne au mouvement, et nombreux seront ceux qui chercheront à imposer leur (projet de) loi. Le paysage expérimental français est relativement chaotique, structuré pourtant en une dizaine de coopératives de diffusion (même s'il n'y en eu aucune lors de la réunion, en 1968 à Munich, de l'ensemble des coopératives européennes de cinéastes).

Histoires de coops, de tendances et de (di)visions

Si l'on compte quelques coopératives en régions, Paris concentre les trois principales. Le Collectif Jeune Cinéma connaît ses débuts en programmant à Paris des films sélectionnés par Marcel Mazé au festival d’Hyères, dont il allait devenir par la suite responsable de la section Cinéma Différent. En 1971, Jonas Mekas lui dicte les principes de la New York Filmmaker's Coop (tous les films sont égaux, pas de sélection, entre autres) et, avec l'aide de Noël Burch, Raphaël Bassan, Jean-Paul Cassagnac, Luc Moullet et quelques autres, le C.J.C. devient la première coopérative de diffusion et distribution de films " différents ". En 1972, une assemblée générale houleuse réunissant deux cents cinéastes aboutit à l'éviction du nouveau conseil de gestion au profit du seul Mazé, qui écarte les contestataires. Burch, Bassan, Moullet et un grand nombre d'autres " différents " de la première heure disparaîtront d'ailleurs du mouvement, qui se recentre essentiellement sur l'expérimental. Mazé relance le Collectif avec Patrice Kirchhofer en 1975, mais celui-ci en conteste les méthodes et la double casquette, et entraîne certains cinéastes à la dissidence, dont Gérard Courant et Martine Rousset, tout en fondant en 1976 la Coopérative des Cinéastes et la revue Cinéma différent. Après 4 ou 5 numéros, elle sera relancée par Jean-Paul Dupuis et Claude Brunel, qui reprennent le flambeau du Collectif, tout en continuant à organiser régulièrement des séances de projections et à animer le Festival d’Hyères, qui attire le tout expérimental français et international. La Paris Films Coop, qui a aussi sa revue (Melba), date quant à elle de 1974, créée à l'initiative d'étudiants et enseignants de Paris VIII - Vincennes, haut lieu d'expérimentations sociales, artistiques et politiques née dans la foulée de 1968. Les enseignants du département cinéma ont été élus par un vote à main levée lors d'une AG en 1973 et les " putchistes ", critiques mao des Cahiers du cinéma passés en bloc grâce à leurs nombreux amis de la Gauche Prolétarienne, en ont laissé la gestion administrative à Claudine Eizykman et Guy Fihman, cinéastes, enseignants et têtes pensantes de la P.F.C., dont les membres sont cependant plus intéressés par l'expérimentation et la théorie que par le gauchisme. Ces trois coopératives réunissent à elles seules aux alentours de deux cents cinéastes, les films sont distribués, le mouvement est de plus en plus important mais nombre de tensions couvent entre les différents groupes, tendances et leurs représentants respectifs. Dominique Noguez est par ailleurs le principal critique de cinéma expérimental et il enseigne à Saint-Charles, annexe de la Sorbonne tenante du " cinéma du corps ", Vincennes étant plutôt d'obédience " structuraliste ". Last but not least, Maurice Lemaître, cinéaste lettriste, réunit une quinzaine de cinéastes en novembre 1976 pour créer une Coop du Cinéma Marginal et tenter, sans y parvenir, de contrer le CJC et d'opérer un premier rapprochement des différents collectifs.

Une seconde tentative de conciliation avait eu lieu en 1978 à Saint-Charles, puis à Rennes, entre des représentants du cinéma militant et de " ce cinéma appelé selon les cas différent, indépendant ou expérimental, mais comme lui alternatif et marginal, et comme lui en lutte contre les censures, les tabous et les non-dits du cinéma dominant " Si Jean-François Margerin, " militant audiovisuel ", accepte de discuter avec ces cinéastes " auparavant considérés comme des intellectuels petits-bourgeois passablement emmerdants ", sa préoccupation principale est de porter à la connaissance du plus grand nombre le scandale de l'amiante… Dominique Noguez parle de la coexistence pacifique qui existe entre ces deux mouvements, " même si certains pensent encore qu'il est contre-révolutionnaire de faire de l'art ". Du côté de la Paris Films Coop, on est plus dogmatique : Guy Fihman parle de cinéma " débilitant ", Claudine Eizykman de leur ennemi commun, le cinéma Narratif-Représentatif-Industriel (voir son livre la Jouissance-Cinéma). Christian Lebrat, membre de la P.F.C., paraphrase quant à lui Mac Luhan pour dire que " la forme est le contenu ", cite la théorie de Prosper Hillairet selon lequel les " films de l'ordre du voir qui n'ont pas à faire voir (représenter) " et renvoie dos à dos les cinémas militants et différents, préférant un cinéma " deux fois différent parce qu'il cherche à faire voir des choses différentes différemment ". Les " différents ", en l'occurrence, prônèrent la constitution d'une structure commune, les " militants " préférant " approfondir le dialogue ". Tout se clôt par la parution en 1980 du n° 10-11 de la revue CinémAction, coordonné par Raphaël Bassan et consacré aux cinémas d'avant-garde.



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