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régulation.net
1999
fut non seulement l'année qui vit l'affaire Altern.org modifier
le paysage de l'internet européen, mais aussi celle des censeurs
de l'internet, qui n'ont eu de cesse de conforter leur empire, sous
couvert d'une "régulation des contenus" censée
définir une "déontologie" de la liberté
d'expression sur le réseau...
Jusqu'ici...
tout va bien
Depuis le 1er janvier, le surf australien est soumis
à une "régulation des contenus". C'est le premier
pays démocratique à remettre entre les mains d'une instance
"indépendante", l'Australian Broadcasting Authority
(équivalent du CSA en France), le contrôle de l'internet.
Objectif : protéger enfants et personnes "sensibles"
de la pornographie, l'incitation à la haine et autres contenus
illégaux ou immoraux via une classification des sites web sur
le modèle des films et vidéos : CR (interdit), X (pour
adultes), et R (moralement condamnable). 5 personnes (!) ont été
engagées pour recevoir les complaintes et dénonciations
des aspirants censeurs, et dresser une liste noire des sites australiens
mis "hors la loi" que les fournisseurs d'hébergement
doivent fermer. Si les fournisseurs d'accès ne sont pas obligés
de "filtrer" eux-même l'accès au web, ils doivent
faire la publicité des systèmes de filtrage, bien qu'ils
aient prouvé leur inefficacité, sans parler de l'absurdité
de la chose : certains logiciels vont jusqu'à censurer des mots
comme "libre", "sein", "anarchie", "cuir",
ou encore... "Pamela".
Pour l'Electronic Frontier Australia, "C'est une véritable
censure sous couvert de protection des enfants. Les sites illégaux
sont de toute façon déjà contrôlés
et poursuivis par des lois et des services judiciaires en place. Pourquoi
rajouter une "régulation" aussi floue ?", d'autant
qu'elle induit "dommages collatéraux" au développement
de l'internet et surcoûts aux professionnels du commerce électronique.
Et d'ajouter que "cette loi ne marchera tout simplement pas"
(il est techniquement possible de contourner la censure, que l'on soit
internaute lambda ou webmaster d'un site porno). L'Electronic Frontier
Foundation, organisation américaine pionnière dans la
défense des droits de l'internaute dont le ruban bleu, symbole
de la liberté d'expression sur l'internet, couvre une très
large part du web indépendant, résume l'enjeu : "Ce
que nous avions pu empêcher en 1996 aux Etats-Unis avec le Communication
Decency Act vient de se produire en Australie. Si ça se passe
là-bas, ça sera peut être demain en bas de chez
nous."
Les
leaders de l'autorégulation
La régulation d'Internet dans les démocraties
est pourtant un "serpent de mer" que plusieurs organismes, largement
financés par de gros consortiums privés, essaient depuis
longtemps de mettre en place. Le plus célèbre d'entre-eux,
le RSACi (Recreational Software Advisory Council's Internet), repose en
partie sur une auto-classification, par leurs créateurs mêmes,
des sites web. Son filtre équipe déjà, et "en
série", Microsoft Internet Explorer et Netscape (soit 95%
des navigateurs, bien que rien n'oblige leurs utilisateurs à activer
le filtrage), mais ne recense que 120 000 sites, sur les 8 millions recensés
par NetCraft, chiffre auquel il faut rajouter les millions de pages persos
hébergées par les providers gratuits... On ne pourrait être
plus clair que le président de l'Internet Content Rating Association,
sattelite de la RSACi, "ému qu'autant de leaders de l'internet
travaillent ensemble à une classification des contenus". Plus
que moraux, les enjeux sont surtout économiques, les bailleurs
de fonds de ce lobbying ayant pour nom Microsoft, AOL, Bertelsmann, British
Telecommunications ou encore IBM.
Si ces féroces partisans de la "loi" du marché
voudraient bien réguler, sinon privatiser l'internet, au dépens
des lois pré-existantes, l'Union Européenne n'est pas en
reste : elle s'est dotée d'un plan d'action destiné à
"promouvoir un usage plus sain de l'internet et encourager, à
un niveau européen, le développement d'un environnement
favorable à l'industrie de l'internet". L'INCORE (Internet
Content Rating for Europe), lobby financé par Microsoft et la filiale
e-business de MCI WorldCom, a ainsi pu annoncer son objectif officiel
: adapter les standards de la régulation, généralement
créés aux Etats-Unis, aux "normes", langues et
cultures européennes, et... "Garder le meilleur de l'internet",
tout simplement.
"L'internet
est un danger public"
Pris de cours lors de l'affaire altern.org, qui avait vu
des dizaines de milliers d'internautes prendre la défense du dernier
hébergeur indépendant français, le gouvernement,
comme un grand nombre de personnalités publiques, manifestement
peu au fait de ce qu'est réellement l'internet, entretiennent un
très net "flou artistique" et cumulent faux pas, raccourcis
et phrases alarmistes... "L'internet est un danger public puisque
ouvert à n'importe qui pour dire n'importe quoi" a pu ainsi
écrire Françoise Giroud dans le Nouvel Observateur une semaine
avant la tenue du "Sommet mondial des régulateurs sur Internet
et des services électroniques" qui, ironie de l'histoire,
se tenait aux mêmes dates que le Millenium Round de l'Organisation
Mondiale du Commerce.
Alors que le monde entier avait les yeux braqués sur Seattle, mis
en état de siège, le CSA conviait tranquillement plusieurs
pays bien connus des défenseurs de la liberté d'expression
: Turquie, Gabon, Malaisie, Thaïlande, Nigéria, Angola...
et même l'Iran et la Syrie, deux des "20 pays ennemis de l'Internet"
identifiés par Reporters Sans Frontières. Dehors, un escadron
de vigiles transformait l'UNESCO, hôte du sommet, en un véritable
bunker en vue de refouler une dizaine de membres du Mini-Rézo (pionnier
francophone du web indépendant) et de la CPML (regroupant une soixantaine
de "médias libres") qui, scandant "Sacré
Bourges, tu nous fais bien réguler !", voulaient simplement
présenter leur site article11.net, du nom de celui qui, dans la
Déclaration des droits de l'Homme, garantit la "libre communication
des pensées et opinions", mine d'or pour anti-régulatieurs
et brillant plaidoyer pour la liberté d'expression.
Le
"meilleur des mondes"
Mais l'Inquisition étant en cours, il lui faut bien
un clergé : coupant l'herbe sous les pieds d'Hervé Bourges,
qui aurait bien vu le CSA réguler tout ça, Lionel Jospin
confia une "mission de préfiguration d'un organisme de corégulation
de l'Internet" au député Christian Paul... qui précisa
d'emblée qu'il ne s'agirait pas du CSA. L'organisme en question,
associant acteurs publics et privés, sera un "lieu d'échanges",
n'aura pas pouvoir de sanction, ni de réglementation, mais sera
chargé de la "déontologie des contenus"...
Si la cause semble être entendue pour certains, cette censure annoncée
est loin de faire l'unanimité : "Je suis ahuri de constater
à quel point l'ignorance et les préjugés pro-censure
en haut lieu risquent d'étrangler le bébé Internet
dans son berceau en France." Ces propos n'émanent pas d'une
des nombreuses organisations internationales anti-censure, mais de l'un
des anciens hauts responsables de l'autorité de régulation
de l'audiovisuel et des télécoms du Canada, seul pays à
avoir à ce jour déclaré qu'il préférait
éduquer et responsabiliser les internautes plutôt que réguler
l'internet.
Reste que l'on ne peut que s'inquiéter de cette convergence d'intérêt
de pays démocratiques, de régimes autoritaires et des principaux
acteurs du web marchand, qui, sous couvert d'"auto-régulation",
cherchent ni plus ni moins à faire la morale, sinon le ménage,
de l'internet.
jmmanach
(texte écrit pour le passage à l'an 2000)
(voir aussi "Dans les coulisses du G8"
&, dans )Transfert : Pour
le gouvernement français, ”Internet n'est plus un jouet” & "Opération
corégulation").
Sites anti-censure
:
http://www.article11.net
http://www.medialibre.org
http://www.efa.org.au/Campaigns/99.html
http://www.censorware.org/
http://censorship.avs.net.au/
http://www.cdt.org/speech/
http://www.gilc.org/speech/
http://www.2600.org.au/censorship-evasion.html
http://autonomous.org/refused/
http://www.prairie-dog.net/
Sites des régulateurs
:
http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/pagsi2/lsi/coregulation.htm
http://www.csa.fr/
http://www2.echo.lu/legal/fr/internet/actplan.html
http://www.incore.org/
http://www.rsac.org/
http://www.icra.org/
http://www.stiftung.bertelsmann.de/internetcontent/english/frameset.htm?content/c2200.htm
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1999 : chronique
d'une régulation annoncée
Janvier
L'Union Européenne adopte un plan d'action destiné à
"promouvoir un usage plus sain de l'internet, et encourager (son)
industrie".
Mars
Sommet de l'Asian Pacific Internet Conference organisé par l'UNESCO
et l'Australian Broadcasting Authority (avec entre autres le Pakistan,
la Malaisie, l'Indonésie, le Japon, l'Inde, la Chine...).
Avril
Création de l'Internet Content Rating Association par le RSCAi
et Microsoft, AOL, Bertelsmann, IBM, Cable & Wireless, British Telecommunications...
Juin
L'Australie adopte une loi confiant la régulation de l'internet
à l'Australian Broadcasting Authority.
Septembre
L'INCORE et la fondation Bertelsmann organisent l'"Internet Content
Summit" (littéralement : le sommet du contenu sur internet
!) et dévoilent leur "Mémorandum de l'auto-régulation".
Forum des régulateurs de l'Institut international des communications
à Kuala Lumpur (Malaisie).
Novembre
Lionel Jospin lance une "mission de préfiguration" en
vue de la création d'un "organisme de corégulation".
Sommet mondial des régulateurs sur internet organisé par
le CSA à l'UNESCO, mais tout le monde a les yeux rivés sur
le Millenium Round de Seattle.
Décembre
Clôture de la consultation publique du gouvernement concernant l'adaptation
de la législation française à l'Internet en vue de
la future loi sur la société de l'information qui sera débattue
en mars 2000
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