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VOLET n° 4

La publicité contre le talent,
donc contre la République


Comment se fait-il que l'estime de soi ait disparu en France? Il y a 10 ans encore, le Français se disait lui-même "petit", mais avait sa fierté. Il s'estimait. Aujourd'hui il dit: je ne suis rien. Comment a-t-on pu en arriver là?
Avec les livres qui n'en sont pas. Les acteurs qui n'en sont pas vraiment. Les films qui n'en sont pas. Des pièces de théâtre qui n'en sont pas vraiment. Les mises en scènes qui n'en sont pas. Les pages et les heures entières données à des journalistes qui n'en sont pas vraiment. Le travail proposé qui n'en est pas. Les idées proposées qui n'en sont pas vraiment. Et c'est comme ça aussi bien dans la culture que dans l'industrie, la recherche, le petit et grand commerce, l'agriculture, partout.
Quand la publicité pillait nos œuvres, on se disait entre amis qu'il vaut mieux une publicité influencée par des idées progressistes que par des idées réactionnaires. Mais avec le temps, on a compris que la publicité, même faite à partir d'idées progressistes, n'est que anti-humaine. Elle suscite la rage immobile de tous. La raison est toujours la même: la publicité vend les médiocres - viandes, films, livres, maisons, émissions de télé, outils, associations "lucratives" contre toutes sortes de maladies, presse, sang -, mais elle ne vend jamais les talents car ils ne peuvent pas se la payer.
Les institutions en général, les culturelles en particulier - le théâtre, le cinéma, l'édition, s'accrochent à l'argent des grands circuits très riches, mais elles ne font pas "du commercial", comme on le dit. C'est de la publicité aux sans-talentueux argentés qu'elles font.
Qui peut prouver que les non promus par la publicité car sans argent, ne sont pas plus commerciaux que ceux vendus par elle? Personne. Car la publicité vend la médiocre grisaille de son riche client sans se soucier de ses qualités réelles, comme s'il était un vrai grand talent, un génie, sans que quiconque puisse lui opposer la réalité. Mais le sans-talent ment. D'où ce divorce total entre le talent et le l'argent. Ce qui fige le pays.

Les publicitaires, et les décideurs qu'ils influencent croient toujours que les gens et les idées sont interchangeables. "On leur prend ce qui nous arrange et on se fait à peu près le même truc", se disent-ils avec ruse. Et bien c'est faux. Ça ne marche plus et ça ne marchera plus jamais. La publicité est en train de préparer son suicide, en préparant des événements graves. Pour nous tous.
Les Français, tous, du postier au journaliste, de l'infirmier à l'actrice, ne s'estiment plus. Parce que personne de la société médiatique, donc de la société tout court, ne les estime. Alors, pour ne plus entendre ni voir les "produits promus et vendus", ils sont obligés de devenir autistes. Ne plus regarder la télévision, ne plus lire la presse, ne plus écouter les radios privées, poubelles à pub. Ne plus s'intéresser aux partis politiques, qui vendent si bien leurs hommes. Ce qu'aujourd'hui, le 1 janvier 1997, on appelle "communication" en l'accusant de tous les maux puisque le "message ne passe pas", est la publicité, portée à son comble.

Exemple: sous forme de faux débat, les publicitaires ont vendu aux Français le traité de Maastricht et ça les a réconfortés dans leur croyance qu'ils peuvent tout! Ce qui est faux aujourd'hui. En fait ce sont tous les malades de la prostate qui à 8 heures du matin sont allés dire "oui" à leur malade préféré. C'est une France âgée de 80 ans qui dans cette consultation populaire a fait la toute petite différence. La publicité honteuse faite à la maladie du fragile et pâle président en 1992, a fait pencher la balance.
Conclusion, aujourd'hui comme la publicité est refusée par tous, aucune communication ne passe plus. Et comme les gens, qu'on nomme dans les médias avec mépris "les petites gens", n'arrivent pas à s'organiser et agir sans ceux qu'ils ne veulent plus ni voir, ni entendre, ils deviennent bouddhistes, autistes, extrémistes, de plus en plus. Un tribun d'une extrême... leur dit: "Français, vous êtes uniques et forts, haïssez l'étranger". Et ils l'entendent de plus en plus.
Comme on ne peut pas clouer le bec à la publicité, mensongère pour tout, des produits aux hommes publiques et jusqu'à son propre support - les médias, le peuple cassera, subira et ce n'est qu'après qu'il retrouvera son estime de soi. La publicité, elle, ne se relèvera plus. Les tués non plus.
Ceux qui soutiennent et approuvent cette situation pourront dire demain: "j'ai accompagné les extrémistes". Comme le font en ce moment les institutions qui suivent le mouvement.
De même que ceux qui observent. Les observateurs. Presse, médias. Pour garder leur "objectivité anglo-saxonne". Et les décideurs de toutes sortes. Devenus sans le savoir des publicitaires. Toute vraie création progressiste ne peut venir que de l'extérieur du système publicitaire. Qui inclue publicité, médias, télévision, presse écrite, hommes politiques, institutions, grands et petits circuits culturels. Tous, petits et grands, énormes par l'absence des talents.

La loi du "je te tiens, tu me tiens par la barbichette" mène l'État au suicide (voir Deleuze à propos du suicide de l'État). Les constats sont bons quand ils nous servent à réfléchir et à agir. Sinon, ils ne font que nous attrister et pétrifier. Alors inventons, agissons. Déjà parlons vrai. Chacun, sans se soucier de quel politicien dit quoi, peut aujourd'hui dire la vérité, sa vérité, au moins autour de lui. Le clivage entre pauvres et riches doit amener aujourd'hui chaque être humain à peser son poids de citoyen hors fortune, à l'état pur, ce qui lui rendra sa fierté.

Eliminons la publicité de notre vie comme notre corps élimine les toxines. Rencontrons-nous. Face à l'extrême, on ne peut faire confiance qu'aux amis.

Paris, 7 janvier 1997
Maria Koleva
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