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VOLET n° 3

Pour une culture d'élite et populaire en même temps
ou
Le triomphe en France entre 1986 et 1996 de l'idéologie allemande de 1846


Voilà les raisons pour lesquelles il nous faut 150 films, 150 livres, 150 pièces de théâtre, avec des réseaux de diffusion pour débloquer la France créatrice républicaine.

Que s'est-il passé dans la culture depuis le 10 novembre 1989, après l'écroulement du mur de Berlin?

Dans l'économie, nous savons tous que la France imite l'Allemagne. Mais au cinéma, au théâtre, dans la littérature, que se passe-t-il? Pourquoi n'y a-t-il que des pièces de théâtre allemandes dans tout le pays? Pourquoi les films français "indépendants", produits par Arte, les seuls à ne pas être commerciaux, ont-ils un goût prononcé de films d'Allemagne de l'Est des années 50? On les regardait avec condescendance à Sofia dans les années 60, tandis que sur les écrans bulgares déferlait l'un après l'autre le miracle tchèque, hongrois, polonais, et même soviétique, avec des films drôles, critiques, désireux de voir enfin le socialisme se réaliser. D'Allemagne de l'Est ne venaient que des films tristounets sur le passé allemand où tous étaient des résistants exceptionnels. S'il y avait quelques films actuels, ils étaient tous axés sur des faits divers sans réflexion profonde, ni révolte régénératrice, à l'image des films français produits par Arte aujourd'hui. Quand ce n'était pas des films de divertissement idiot dit "à l'allemande". Arte fait de plus en plus de films de divertissement de plus en plus médiocres aussi.
Et brusquement, j'ai compris qu'en France le cinéma progressiste, donc tout le cinéma, car les deux branches sont des vases communicants, le théâtre, la littérature et la presse progressistes ont été programmés par la gauche à disparaître.
Le 10 novembre 1989, avec l'écroulement du mur de Berlin, l'idéologie rigide de l'Allemagne de l'Est est devenue pour la gauche française ce qu'est l'économie d'Allemagne de l'Ouest pour l'économie française: un sujet d'imitation. Et voilà pourquoi le Ministère de la Culture qui ne fait rien sans l'accord suprême, a acheté les studios de Babelsberg et qu'on a cassé les studios parisiens. Voilà pourquoi on essaie sans cesse de brader la Société Française de Production (SFP) etc...
Seulement voilà, si l'Allemagne de l'Est n'avait pas de cinéma et que l'Allemagne de l'Ouest a cessé d'en avoir, l'Allemagne d'aujourd'hui n'en a pas. Parce qu'un cinéma indépendant qui n'est pas produit par une chaîne de télévision, ni coproduit, va forcément proposer quelques idées de gauche différentes de la ligne imposée sur le moment. Et comme l'idéologie allemande de l'Est est devenue l'équivalent de ce qu'a été l'idéologie allemande en 1846, ce dont se plaint Karl Marx dans son fameux texte "L'idéologie allemande", c'est une idéologie si bien construite, tellement au service des idées, si coupée des sens, du peuple, si hiérarchisée et si cruelle, qu'elle a provoqué la destruction du mur de Berlin par les gens. Pas comme on le disait, pour des raisons économiques seulement, car l'Allemagne de l'Est était très performante par rapport aux autres pays de l'Est. Mais parce que l'idéologie de l'Allemagne de l'Est avait réglé la vie du citoyen à l'image d'une caserne culturelle douillette. Mais caserne quand même. Par contre, les intellectuels s'épanouissaient hors de toute contrainte sérieuse.
La gauche française qui n'a plus d'intellectuels pour décider la ligne culturelle s'est tout bonnement "branchée" sur la politique culturelle de l'Allemagne de l'Est déjà réunifiée avec l'Allemagne de l'Ouest. Elle a commencé à suivre cette même politique sans esprit qui a rendu l'Allemagne de l'Est invivable. Seulement voilà, on ne parle jamais du passé en Allemagne, vraiment. Résultat: on ne parle plus du passé d'un point de vue progressiste en France.
On ne parle jamais vraiment du présent en Allemagne réunifiée. D'ailleurs, il n'y a pas de production de films indépendants. Résultat: en France on ne parle jamais de la vie actuelle en profondeur. Dans les "Länder" allemands, équivalent des régions en France, on produit des films. Mais ils sont destinés à rester dans leurs boîtes de métal. Les allemands, avec leur conception d'éternité de la mère-patrie Germania, stockent des documents pour dans 300 ans. Il y a aussi des productions de films d'étudiants subventionnés, comme en France, et qui ne sont jamais projetés non plus aux allemands. Le dernier cinéaste qui vivait encore en Allemagne en faisant des films, c'était Fassbinder. Et il est mort de la drogue, désespéré de jamais obtenir "le permis" de faire des films sur le présent allemand. Wim Wenders n'est qu'un voyageur qui passe par le ciel de Berlin de temps en temps pour jeter un coup d'oeil sur son pays. Montrer des anges c'est possible, des allemands, non.
A l'image de l'école, le cinéma français progressiste est un acquis républicain. Ceci n'existe pas en Allemagne parce que les enfants sont envoyés à 14 ans dans les usines et ailleurs pour faire leur apprentissage, ce qui les coupe très tôt de la culture qui reçoit n'importe quel élève en Europe en étudiant jusqu'à 18 ans.
Cette situation culturelle en Allemagne permet la prolifération d'une quantité énorme de vidéos et de littérature pédo-sado-maso-nazi. Il y a en Europe des pays où le chômage est de 25% mais le racisme, 1%. Ce n'est pas le cas en Allemagne. Car dans ces pays l'école, le cinéma et le théâtre servent à l'élévation et non à l'abaissement des êtres humains.
Autant la pensée unique économique fait des chômeurs, mais ne fait pas des nazis, autant la pensée unique dans le domaine culturel fait tous les jours des haineux. La culture populaire allemande est un vaste désert balayé par le vent des films américains et pornographiques. En Allemagne le cinéma n'est qu'américain. Pour cette raison les allemands sont farouchement contre les quotas qui protègent la production de films français dans la Communauté Européenne.
C'est dans ce contexte que la gauche française s'est branchée sur Berlin, comme jadis sur Moscou, mais là-bas le cinéma est un art populaire et les films résolvent souvent des problèmes essentiels de la vie. La gauche française a décidé de faire comme en Allemagne. Tout ce qui est destiné au peuple ne doit être que de "l'animation" et du "divertissement". Et voilà comment l'équivalent dans l'économie de "tout pour le marché" est devenu dans la culture "tout pour le divertissement, tout pour l'animation". On s'est mis à obliger les gens à se distraire, comme on les oblige à consommer. Le cinéma commercial français applique déjà cette "loi", mais dans un esprit très réactionnaire de "tout pour le divertissement du colon". De temps à autre dans ce cinéma apparaissent des films progressistes comme "Les visiteurs", le seul film populaire depuis 15 ans, où même la châtelaine est républicaine, et où le rêve des Français de voir disparaître les nouveaux riches d'un coup de baguette magique est accompli.
Et pour couronner le tout, les responsables culturels vraiment de gauche, tout contents d'être dans la fonction publique, ce qui n'est pas le cas de leurs collègues allemands vraiment de gauche, qui n'ont pas le droit de travailler pour l'État allemand, ont décidé eux de ne prendre aucune responsabilité dans le choix des films à faire. Par peur de perdre leur place à cause des lois allemandes qui doucement, sans bruit, s'imposent à la France, ils ont légué le pouvoir sur la production et la diffusion des films français aux "décideurs-censeurs" de toutes les chaînes de télévisions confondues. Ils ont ainsi éliminé toute possibilité de produire et diffuser des films dans le privé, et encore moins des films indépendants, progressistes, comme ceux qui nous arrivent de temps en temps des États-Unis. Laisser à la nouvelle religion cathodique, télés et multimédias, le choix des films, des livres, des pièces de théâtre, c'est revenir vers un nouveau Moyen Age de l'obscurantisme. Combien de temps se passera-t-il alors pour revoir un siècle des Lumières?

Les censeurs des médias ne jurent que par le silence sur notre vie: c'est ainsi qu'on produit des films qui rappellent vaguement que nous existons. Comme si nous étions morts il y a trois cents ans et qu'on nous découvrait sans langue, sans paroles, dans des images non identifiables, "qui? ", "quoi?", "pourquoi?", à la manière de la civilisation Maya.
La diffusion de films, de livres, de pièces de théâtre ne se fait que pour la production institutionnelle, les grands groupes financiers privés étant considérés comme des institutions d'État par la gauche culturelle.
La belle France progressiste avec ses mille idées - car un pays avec autant de fromages ne peut être que riche d'idées - est "saquée".
Voilà imposés à la France le rêve allemand de gommer son passé de la deuxième guerre mondiale et l'affirmation de son rêve économique d'être une partie d'Amérique du Nord sur le sol européen pour ne plus être soi-même. Mais une Allemagne qui renaît de zéro et qui est la plus forte au monde. Voilà de nouveau aujourd'hui sous une forme différente, le retour en Allemagne du mépris de ses voisins et d'un racisme anti-européen au profit du mythe de l'Homme germanique, proche du mythe de l'américain blanc.
Mais aucun peuple ne peut vivre dans le psychisme d'un autre peuple. Parce que là où la culture se replie, la haine et la guerre triomphent. C'est pourquoi il faut 15O films à 1 million de francs pour libérer le cinéma français de sa disparition programmée, 150 livres, 150 pièces de théâtre, pour résister au blocage culturel venu d'Allemagne, pour revenir vers une France républicaine.
Aujourd'hui il y a bien des films progressistes anglais, italiens, espagnols, etc, mais il n'y a pas de films français de ce type.
Cette idéologie allemande ferme la culture à son propre peuple et par là, elle empêche l'assimilation des minorités. Ce ne sont pas les gens, ce sont les institutions culturelles qui deviennent racistes et qui poussent les gens à le devenir. La France en douce se referme sur elle-même comme l'Allemagne qui n'assimile jamais personne et encore moins les créateurs - cinéastes, dramaturges, écrivains, peintres, etc, même issus de son propre peuple.. . Personne. C'est un pays triste.
Et nous voilà tristes à notre tour! L'osmose entre l'idéologie allemande de l'Est, très restrictive à la création populaire, et l'idéologie de la rigueur économique pour le peuple d'Allemagne de l'Ouest, restaure aujourd'hui l'idéologie allemande de 1846, profondément conservatrice, et qui est à l'origine de toutes les guerres en Europe ces 150 dernières années.
Telles sont les raisons pour lesquelles je pense qu'il nous faut en France une culture pour tous - élitiste et populaire en même temps.
Je fais des films pour comprendre le monde.
Et j'ai compris ce qui s'est passé et ce qu'il faut faire aujourd'hui.

Je l'explique en trois volets :
1. L'économique: relancer le cinéma français, faire des films et les distribuer, une démarche républicaine.
2. Le sociologique: 32 heures pour libérer la créativité de la République.
3. L'idéologique: pour une culture d'élite et populaire en même temps, ou le triomphe en France entre 1986 et 1996 de l'idéologie allemande de 1846.

Je vous propose mes solutions.
J'aimerais bien participer pour une fois à la concrétisation de mes idées. Et je vous invite à regarder mes films, les films français des dix dernières années et la production culturelle du pays, à la lumière des trois volets.
Paris, 16 mai 1996, Maria Koleva
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