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Maurice Lemaître

Intro au plus "jeune, dur et pur" de tous les cinéastes contemporains, l’un des plus grands aussi, l’un des plus méconnus enfin, un vrai maudit qui n’arrête pas d’insulter ceux qui ne le captent pas, un vrai génie pour certains (dont je suis).

Au commencement était le Verbe, et puis le Verbe se fit cher, précieux, mondain, hautain… les verbeux voulant s’affranchir de ce qu’ils sont : des bouffons du roi qui, généralement, se prennent très au sérieux et ont une très haute idée de leurs destinées. Au cinéma, c’est pareil : ça commence avec une caméra, ça se poursuit chez les forains, ça finit à Hollywood et ça réclame des millions (plus la légion d'honneur, un Oscar ou 20 millions, au choix). Certains cependant résistent haut et fort à cette voie toute tracée en préférant s’occuper du Verbe, et du cinéma, et les prendre au pied de la lettre plutôt qu’avec ce genre de pincettes (en argent, évidemment). C’est ainsi que sont apparus les lettristes au début des années 50, Maurice Lemaître étant l’une de leurs principales figures de proue, artiste d’avant-garde et multi-média (au sens propre) qui n’a rien perdu de la superbe ni de la hargne qui caractérise le mouvement lettriste depuis les années 50, une des rares avant-gardes à ne pas avoir été aspirée par les sniffeurs de l’institution..

Le lettrisme

Après des études d’ingénieur, et être entré en Résistance, Maurice Lemaître s’engage dans le mouvement libertaire, devient journaliste, et rencontre Isidore Isou, jeune poète roumain et subversif qui vient de créer le lettrisme, théorie artistique ouvertement révolutionnaire qui veut changer la vie, et l’art, parce que l’art c’est la vie et que les " belles lettres " ne peuvent plus se satisfaire de copier à l’infini les classiques, chanter Le Verbe et vénérer les princes. Avec les lettristes, la lettre se fait cri, signe, image, performance et le Verbe implose : la poésie devient sonore, la peinture se fait textuelle, l’art devient performance, le cinéma se fait dans la salle et, ainsi de suite, ils brouillent et font imploser les catégories… Ils innovent dans tous les domaines artistiques et inventent des formes qui feront le succès de la majeure partie des autres mouvements d’avant-garde de l’après-guerre, sans pour autant jamais en récolté les bénéfices, ni la reconnaissance. Guerre mondiale aidant, la majeure partie des artistes d’avant-garde se sont expatriés aux USA, et, sous l’influence du surréalisme, qui connut véritablement là sa consécration, la scène artistique et d’avant-garde s’est exportée outre-atlantique.

Résultat : les lettristes ne seront jamais vraiment reconnus, et ce encore aujourd’hui, dans les milieux artistiques, sauf pour avoir accueilli en leur sein Guy Debord avant qu’il ne devienne situationniste et qu’il n’écrive la " Société du spectacle ", Bible et best-seller de l’après-68. Résultat (bis) : Isidore Isou, l’un des artistes les plus novateurs de l’après-guerre, se terre toujours, isolé et incompris, dans un petit appartement du quartier latin, pendant que Maurice Lemaître continue tant bien que mal à se démener face à l’aveuglement des critiques et programmateurs. Exception faite de la Cinémathèque Française, le Musée du cinéma ayant confié ses programmations expérimentales à l’une des programmatrices les plus éclairées de ces dernières années, Nicole Brénez, qui a plusieurs fois accueilli dans cette " vénérable " institution ce cinéaste dont on taira par ailleurs l’âge (tout aussi vénérable d’ailleurs), entamant ainsi une relecture de l’histoire du cinéma du côté de ses pans les plus critiques et contestataires.

Le film est (de toute façon) déjà commencé

Mais qu’ont-ils font de si mal ? Rien, sinon faire éclater les règles de base de la culture classique, tailler le Verbe en pièces, prendre les mots à la lettre et en faire de l’art. En l’occurrence, " Le film est déjà commencé ? " est, à proprement parlé, plus qu’un film, Lemaître occupant tout l’espace de la séance, de l’entrée des gens dans la salle jusqu’aux interventions faites devant l’écran en passant par celles qui ont lieu dans la salle, et le jeu des ouvreuses, la bande son qui ne correspond pas aux images, les images qui sont généralement détournées, et rarement filmées par Lemaître lui-même… Le film date de 1951, et il provoqua bien évidemment un scandale, tout en accédant au statut de film culte dans le cinéma expérimental et underground. Les Editions des Cahiers de l’Externité, qui se sont fait une spécialité de rééditer les " classiques " du lettrisme, vient de rééditer la première édition de 1952 du livre intitulé lui aussi " Le film est déjà commencé ", et préfacé par Isidore Isou.

Lemaître est ainsi devenu l’un des précurseurs de ce qu’on appelle l’expanded cinéma, ou cinéma élargi, genre cinématographique où l’écran a autant (et parfois moins) d’importance que l’espace de la projection du film (quand il y en a un…). Il a ainsi fait un grand nombre de films sans pellicules, qu’on avait pu découvrir à Beaubourg il y a quelques années : diapos à gratter, texte à écouter, tract à rédiger, objet à toucher, sentir… L’intérêt, pour lui, réside aussi dans le fait que, par ce biais, il lui est tout à fait possible d’haranguer la salle, de distribuer ses " films à faire ", tracts et autres propositions artistico-subversives aux spectateurs qui, pour une fois, sont parties intégrantes du film, plutôt que simples consommateurs, et qui donc oscillent entre l’étonnement le plus coi et le rire le moins con qui soit (comme à chaque fois que l’" avant-garde " étonne, et réjouit).

Lemaître n’a pas fait que des films, il en a aussi écrit

Tout le monde se retrouve dans sa ligne de mire, et tout y passe : certains cinéastes, considérés par la majorité des " autorités compétentes " en la matière (Jean-Luc Godard, Jonas Mekas, Peter Kubelka…) ne sont pour lui que des copieurs, des faiseurs de néo-classicisme qui, parce qu’ils ne vont pas aussi loin que lui, et parce qu’eux, aussi, ont les faveurs des institutions et d’une certaine presse, ne sont finalement rien d’autre que des " révisionnistes ". Dans la plus pure " tradition " de l’avant-garde, il a publié des milliers de tracts, textes, livres, lettres ouvertes généralement incendiaires et insultantes pour dénoncer l’hypocrisie et les magouilles de ces gens-là et des milieux du cinéma, et protester contre l’inanité de tels ou tels cinéastes, critiques, exploitants, etc. Tout en s’érigeant, bien entendu, en grand redresseur de torts. On peut d’ailleurs se procurer ses milliers de pages photocopiées, ou encore sa revue, " L’avant-garde audiovisuelle ", via le Centre de Créativité, qui se charge de promouvoir, et gérer, tout le legs et la production de l’artiste.

Centre de Créativité BP 63.46 75063 Paris cedex 2

Sur Maurice Lemaître :

http://www.citeweb.net/lemaitre/ (avec une galerie d'images)

http://www.id-net.com/lemaitre/lemaitre.htm

Sur le lettrisme :

http://www.cafe.umontreal.ca/genres/n-lettri.html



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