(Version
Originale d'un article paru fin février sur zdnet.fr)
Chronique
d'une désinformation
L'affaire Marc Orian, qui tenait un internaute pour co-responsable
de la chute du cours de son action, relevait plus d'une désinformation
médiatique que d'une tentative délibérée
de déstabilisation.
Info ou intox ?
La chute de près de 30% des actions de Marc Orian (MO), premier
réseau français indépendant de bijouterie, serait
due aux "messages alarmants" et "informations trompeuses"
lancées par un particulier sur Boursorama, un forum financier
de discussion sur internet. C'est en tout cas ce que laissaient entendre
la semaine dernière les Echos, puis le Journal du Net, Europe1,
Le Monde, La Tribune et enfin l'AFP.
Des informations contradictoires
Le 4 février dernier, la publication des résultats semestriels
"en croissance" de la société entraîne
un certain nombre de commentateurs à l'optimisme, certains en
faisant même une de leurs "valeurs préférées".
Le 7, l'action de MO commence à dégringoler. Un internaute,
se définissant lui-même comme petit actionnaire "débutant"
marié à une employée de la société,
s'inquiète sur Boursorama de la brusque chute des cours de la
société et parle, le 10, de "problèmes de
trésorerie" occasionnant des retards dans le paiement des
salaires, et "de nombreux cambriolage de leurs bijouteries".
Le 11, rassuré par d'autres actionnaires-contributeurs, il déclare
qu'il va "gratter les fonds de tiroirs pour acheter un peu".
Le 14, l'action a chuté de 30% et les dirigeants de MO publient
un communiqué de presse qui se veut rassurant, tout en déclarant
aux Echos "être victime d'un internaute qui aurait divulgué
des informations trompeuses", menaçant même de porter
plainte auprès de la Commission des Opérations de Bourse
(COB). Le 16, la direction de MO réitère ses accusations
au Journal du Net, tout en précisant que les retards de paiement
étaient dus à un problème informatique, et que
les cambriolages n'avaient pas eu d'incidence sur le chiffre d'affaires.
Le 20, c'est au tour du Monde de parler de cette histoire de "désinformation",
dans le cadre d'un article sur "La vague des forums de discussion
financiers". Le 21, l'AFP rend public un communiqué de presse
de la COB mettant en garde le public et les sociétés contre
les "personnes peu scrupuleuses" qui utilisent l'internet
pour inciter à acheter des produits financiers, et renvoie, à
titre d'illustration, à cette "affaire de déstabilisation"
des cours de MO.
L'avis des actionnaires
Mais cette analyse n'est pas du goût des premiers concernés
: les actionnaires, en effet, parlent plutôt de la réaction
d'un patron "attaqué dans sa chair par une action injustement
malmenée" et des "problèmes de communication"
de la société; et si l'internaute a depuis disparu du
forum de discussion, les autres contributeurs sont unanimes : "il
n'est pour rien là-dedans, c'est de l'intox".
Il semble en effet que la chute soit bien plutôt due à
un changement d'opinions de "gros" investisseurs qui, déçus
des performances du bijoutier, ont changé d'attitude depuis la
publication du rapport du 4 février. Un analyste financier particulièrement
au fait du dossier MO nous a ainsi déclaré, sous couvert
d'anonymat, que la brusque chute de 30% des actions suite à la
publication des résultats de la société n'avait
"rien de choquant au vu des résultats semestriels qui n'étaient
pas à la hauteur des attentes" en terme de valorisation
: l'action de la société avait en effet baissé
de 23% en un an, la cause étant à chercher du côté
de l'intégration d'un certain nombre de nouveaux magasins pesant
sur les résultats de MO.
Sylvain Krief, PDG de Marc Orian, nous a déclaré qu'il
"n'assimile pas la baisse du cours à cette rumeur"
et n'a "jamais dit que c'était à cause d'internet,
mais que j'étais victime de quelqu'un qui racontait des âneries".
Alerté par d'autres internautes de ce qui se passait sur le forum
de discussion, il a finalement retrouvé, et "calmé",
le mari d'une responsable d'un de ses magasins de province, tout en
refusant la démission de sa femme. S'il n'envisage donc pas de
porter plainte auprès de la COB, il ne s'explique toujours pas
la baisse du cours des actions Marc Orian. Côtée 95 euros
début janvier, l'action côte aujourd'hui 62 euros, après
être tombée à 57 il y a deux jours.
emedia
(+ Version Originale : "Contre-enquête
sur une pseudo manipulation boursière via l'internet")