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Les gros yeux de la grande muette

jmmanach (initialement publié dans transfert.net le 02.08.2001)

Les satellites-espions sont bien connus depuis la révélation de l'existence d'Echelon. Mais à la base, ils servent surtout à l'imagerie militaire. Et la France, soucieuse de son indépendance, n'est pas en reste. Peut-être un peu trop, même.

Le projet de loi de programmation militaire 2003-2008, adopté par le conseil des ministres du mardi 31 juillet, pourrait être examinée à l'Assemblée au premier trimestre 2002, en pleine présidentielle... Présenté in extremis juste avant la trêve estivale, il soulève en effet un tollé à droite (pour qui 525 milliards de francs sur 5 ans, soit 4F par jour et par Français, reste insuffisant), et pourrait heurter certaines composantes de la "gauche plurielle", écologistes et communistes en tête. Le nucléaire est en effet remis à l'honneur, au prétexte que plusieurs pays asiatiques ont remis au goût du jour ce genre de force de "dissuasion". Mais il s'agit aussi de "soutenir le développement de l'Europe de la défense", et donc de poursuivre l'effort (de guerre) entrepris depuis la fin des années 70 pour doter la France d'un système fiable et indépendant d'espionnage satellitaire, mais aussi de lancer un système européen de renseignement (voir La France prépare la guerre de l´information). Ainsi, douze drônes, micro-avions-espions sans pilotes, devraient venir renforcer l'arsenal militaire. Il est aussi question de lancer Syracuse III, un satellite de communications sécurisées (Syracuse II ayant été cela dit l'un des rares à avoir fait les frais du bogue de l'an 2000), ainsi qu'Helios II, qui faisait récemment l'objet, pour ne pas dire les frais, d'un rapport d'information parlementaire.

Helios, prévu pour l'an 2000, attendra 2004

Helios, dont le budget total est estimé à 9,5 milliards de francs, est composé de deux satellites-espions dédiés à l'imagerie. Ses deux premiers modules, lancés respectivement en 1995 et 1999, auraient dû être remplacés en l'an 2000. Ils ne le seront pas avant 2004, au mieux. Projet initié par la France, et soutenu par l'Espagne et l'Italie -qui y ont respectivement investis 7 et 14,1%- Helios permet à ses partenaires d'accéder aux clichés au prorata de leurs investissements. Dans les faits, l'Espagne accède à 40% des clichés, l'Italie 45%, la France 85%. Si l'on ne sait encore quels seront les autres pays qui accepteront de rentrer dans le pot d'Helios II, dont le coût est cette fois-ci estimé à 14 milliards de francs, la Belgique confirmait le 13 juillet dernier qu'elle en ferait partie, à hauteur de 2,5%. L'Espagne pourrait prolonger son partenariat, l'Allemagne aussi -bien qu'elle ait choisi de développer son propre système, intitulé SAR Lupe et composé de quatre satellites radar. Mais la négociation intra-européenne se heurte au lobbying des Etats-Unis, au montant élevé des frais à engager, à la conception toute particulière, et héritée de de Gaulle, de l'indépendance et de la souveraineté. Mais aussi à la culture du secret des services de renseignement français.

L'échec du "secret défense"

Jean-Michel Boucheron, député PS, rapporteur spécial du budget de la Défense, membre de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité et de la commission consultative du secret de la défense nationale, président de la délégation française de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, est donc peu susceptible d'anti-militarisme. Pourtant, il déplore, dans son rapport d'information, intitulé "Des espions au service de la paix ?", le "constat d'échec" du culte du "secret défense" des services français. La Direction du Renseignement Militaire aurait ainsi affrété pendant des années des motards et autres navettes terrestres pour sécuriser les communications des clichés high tech entre sa base de Creil et le siège de la DGSE, entre autres. Et Boucheron d'affirmer, pince-sans-rire : "On peut légitimement s'interroger sur la rationalité de ces procédures qui imposent des conditions de sécurité (boîtier attaché au poignet par des menottes, etc...) du niveau de la protection des codes de l'arme nucléaire, d'autant que, dans des circonstances d'exceptionnelle urgence, le ministère de la Défense s'est parfois vu obligé de recourir aux services de Chronopost pour le transport de ces mêmes boîtiers... A l'heure de la fibre optique et d'Internet, le coût financier et opérationnel de ces liaisons datant d'un autre âge reste à chiffrer."

Des images... inaccessibles

Autre motif de raillerie : lors de la guerre du Kosovo, une station aérotransportable d'une valeur de 200 millions de francs, conçue pour recevoir les images directement du satellite sur le théâtre des opérations, est finalement restée à Creil : "Il semblerait que la crainte de devoir déployer un tel équipement au contact de nos partenaires l'ait emporté sur la rationalité opérationnelle." De même, alors que le ministère fait des pieds et des mains pour mettre en place un système de renseignement européen, les partenaires de la France n'ont pas, ou si peu, accès aux données recueillies par Helios. Même l'Armée de l'Air française, qui assure pourtant la mise en oeuvre du système, doit faire des pieds et des mains pour y accéder ! Officiellement, pourtant, Helios est une réponse directe au fait que les Américains font tout pour garder pour eux le résultat de leur espionnage satellitaire, et que la coopération ne fonctionne guère. Boucheron regrette aussi "le conservatisme avec lequel les options fondamentales ont été prises entre 1992 et 1996", qui fait que la France disposera de deux bons "gros satellites dédiés au militaire alors que la majorité des systèmes reposera sur des constellations de petits satellites, moins coûteux, et à la polyvalence et la souplesse plus affirmées". Seul motif de satisfaction, sinon de défi, face aux tout-puissants Etats-Unis, à moins qu'il ne s'agisse de l'ironie de l'histoire : Helios II sera lancé par... les Russes. Ariane étant plus chère que la fusée Soyouz, Jacques Chirac a en effet conclu un accord avec Vladimir Poutine pour que la station de lancement de Kourou devienne "le creuset d'une forte coopération russo-européenne" dans l'espace. Ce sont les nostalgiques américains de la guerre froide qui vont être contents.

La France prépare la guerre de l´information : http://www.transfert.net/fr/cyber_societe/article.cfm?idx_rub=87&idx_art=5691
Des espions au service de la paix ? : http://www.assemblee-nationale.fr/rap-info/i3219.asp

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