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Belle-Ile en Web
Vous voulez faire un point sur la situation à Belle-Ile ? Les dégâts sont-ils tels que ce que certains médias ont laissé entrevoir ? Où en est la pollution ? Sur la vingtaine de sites web consacrés à Belle-Ile-en-Mer, les deux principaux se renvoient la balle : sur fond de simili guerre de l’information, ce règlement de comptes à Belle Ile City, eldorado touristique, dévoile surtout de grosses enjeux économiques. Comme le disait un bénévole luxembourgeois venu assisté les Belle-Ilois au plus fort de la dépollution : " Belle-Ile, c’est comme le village des Gaulois : tout le monde se tape dessus, sauf qu’ils ne sont même pas d’accord pour taper sur les Romains ! "

"Des fées chassées de la forêt de Brocéliande, prises de douleur loin de leur sanctuaire, se mirent à pleurer... Leurs larmes, se déversant sur la terre, donnèrent naissance au Golfe du Morbihan. Elles y jetèrent leurs couronnes de fleurs : ce sont les îles du golfe. Trois de ces couronnes furent emportées vers l'Océan, elles y créèrent Hoêdic, Houat, et pour la plus grande : Belle-Ile-en-Mer." Ainsi s’ouvrait le site belle-ile-en-mer.org jusqu’à Noël dernier. Si la visite guidée de l’île qui suit cette ode lyrique signée Samuel Austin existe toujours, la page d’accueil du site affiche aujourd’hui "Erika : Silence ! On paye ! Le sang breton est contaminé", et belle-ile-en-mer.org est devenu une des principales références en matière d’information concernant la marée noire (voir aussi Radiophare sur la question). De 5 à 6000 visites par mois, le site a parfois dépassé les 17000 " hits " quotidiens au plus fort de la mobilisation : on a même proposé à son webmaster, au vu du succès et malgré la présentation toute artisanale du site, d’accueillir de la publicité ! Outil incontournable pour ceux qui voulaient s’informer sur la catastrophe, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce "site d'informations locales indépendant" est loin de plaire à tout le monde, et plus particulièrement à l’Office du Tourisme. Celui-ci avait pourtant demandé l’an dernier au webmaster de belle-ile-en-mer.org, de créer son site web officiel. Mais c’était sans compter les "dommages collatéraux" de la marée noire…

Une marée noire pour cadeau de Noël...
Enfant du pays, Samuel est tombé dans la marmite informatique quand il était tout petit : dans les années 70, "le mari de ma mère était à IBM et mon carnet d’adresse était fait de cartes perforée", ancêtres des puces et processeurs électroniques. Au tout début des années 90, son père, abonné à Calvacom, un des premiers providers internet, l’initie au réseau des réseaux et Samuel crée l’un des premiers sites web français, justement consacré à Belle-Ile-en-Mer. Autant dire qu’il est l’un des pionniers de l’internet en France. C’est donc tout naturellement que l’Office du Tourisme lui demande l’an dernier de créer le site "officiel" de l’Ile. Mais tout bascule avec l’Erika : "la veille de Noël, ça puait le mazout, le soir j’offrais un appareil photo numérique à ma femme pour filmer les gosses, le lendemain je m’en servais pour photographier la marée noire". Un malheur n’arrivant jamais seul, c’était précisément ce jour-là que le site devait être officiellement lancé. Le président de l’Office du Tourisme propose que la cellule de crise s’installe dans ses bureaux, Samuel rentre donc chez lui et commence à mettre en ligne les informations concernant des dégâts de l’Erika, photos comprises, sur son propre site. Aujourd’hui, il considère qu’héberger le PC de crise au cœur même de l’Office de Tourisme fut une grosse erreur, mélange des genres qui allaient inciter les professionnels du tourisme à ne pas tout dire de la situation réelle de l’île. De fait, deux mois après, Samuel, qui bosse à plein temps, et bénévolement, sur son propre site, est définitivement écarté de l’Office du Tourisme, qui n’a d’ailleurs toujours pas fini de le payer. Même son nom a été retiré du site, alors que c’est lui qui l’a créé (vous pouvez d’ailleurs découvrir la maquette originale du site officiel sur http://www.chez.com/belleisle/Office/).

Son crime ? Il est accusé de faire de la mauvaise publicité à l’île : "ils voulaient que je montre plus de choses moins dures"… Si Samuel est conscient de l’image d’"emmerdeur, casse-pied et grande gueule" qui lui colle à la peau, il récuse en bloc cette accusation et dénonce l’hypocrisie de l’Office du Tourisme dont la politique de communication fut tout sauf transparente, à l’instar de la quasi-totalité des instances officielles, communes, régions comme ministères, d’aucuns ayant moult fois, mais sans résultat, tenté de faire pression sur lui pour qu’il se taise. Pourtant, son site ne cherche aucunement à affoler le péquin, et les nombreux messages de soutien, provenant de la France entière (il y en a même de Séoul !), montre à quel point son travail d’informations s’avéra nécessaire aux amoureux de l’île : "nous boycotterons Total cette année, mais surtout pas la Bretagne". Le politique de l’autruche des officiels, qui cherchaient plus à rassurer le touriste qu’à l’informer, a d’ailleurs valu sa place au président de l’Office de Tourisme, qui le menait pourtant de main de maître, sinon de fer, depuis presque 30 ans, un homme d’autant plus puissant qu’il présidait également la fédération du Morbihan des Offices de Tourisme. Un remaniement interne vient en effet, mi-avril, de faire place à la "nouvelle génération", et l’Office va se doter d’un nouveau directeur. Comme le dit un des membres de l’association : "On vivait sur des acquis, et tout allait bien, aujourd’hui que ça va mal, on s’est ressoudé autour d’une équipe plus jeune et dynamique."

Si seulement Total n'était pas français...
Hervé Pérignon, nouveau vice-président de l’Office du Tourisme, chargé plus spécialement de la commission internet, est ainsi un ardent défenseur de la transparence : "ça ne peut pas faire de mal au tourisme, il faut être franc et dire la vérité, ça ne peut que donner une image positive", en l’occurrence : "95% de la masse de produits a été nettoyée, mais 5% reste très difficile à retirer car il faut lever les rochers, nettoyer les falaises comme de la vaisselle", ce qui n’empêche en aucun cas de se ballader sur les falaises, les sentiers douaniers, de se baigner ou encore de se dorer la pilule sur les plages… et sans danger : les résidus sont surtout à chercher dans les coins inaccessibles de l’île, témoignages de l’ampleur des dégâts occasionnés, et de l’immense travail de nettoyage effectué par les bénévoles, la protection civile, les militaires et les pompiers, qui continuent encore à nettoyer ce qui reste de fioul, sans compter les 30 insulaires que Total a engagé à cet effet, ce qui a le don de diviser la population : comment porter plainte, à l’instar de nombreuses autres communes, contre un pétrolier soutenu par l’état, et qui finance en partie la dépollution. Comme le disent de nombreux Belle-Ilois, qui se sentent abandonnés, lâchés par l’état et les collectivités : "ç’aurait été beaucoup plus simple si le pollueur n’avait pas été français".

Ancien cadre basé à Paris, Hervé Pérignon a tout plaqué il y a 6 ans pour suivre sa femme, médecin, à Belle-Ile, et s’occupe depuis d’un centre d’accueil en été, tout en donnant des cours de musique l’hiver. Adepte d’un tourisme plus qualitatif que quantitatif, il fait partie de ceux qui cherchent à developper les randonnées à pied ou à VTT, les stages sportifs et culturels, dégustations de produits locaux, etc., ce "tourisme vert et alternatif" étant une des nouveaux axes d’expansion de l’île. Il compte d’ailleurs en créer un site web spécifique : "les gens qui viennent ne sont pas que des touristes, on est un peu comme l’Irlande, avec des traditions, une culture, le capital humain est aussi important que la beauté du paysage". Il va également entreprendre un audit du site de l’Office de Tourisme en vue de l’améliorer et de renforcer la présence des professionnels : s’il compte 300 adhérents, ils ne sont en effet pour l’instant que 18 à avoir une page web, page qui cela dit leur rapporterait jusqu’à 50% de clientèle en plus…

Le "tourisme de solidarité"
En attendant cette réorganisation, les dégâts de la marée noire ne se font pas moins sentir : si les chiffres et prévisions restent encore très floues, on sait néanmoins qu’en janvier, quand les côtes étaient encore souillées, on enregistrait 74% d’appels de moins que l’an dernier, et que les réservations pour l’été chutent quant à elle de 18 à… 60%. "On ne sait pas comment ça va se passer, on navigue à vue" commente Hervé Pérignon, qui estime cela dit que les grands absents seront essentiellement les étrangers qui, mal informés, vont parfois jusqu’à croire que la côté nord de la Bretagne est polluée. La clientèle de luxe, particulièrement exigente, pourrait elle aussi faire défaut, ainsi que ceux qui n’ont encore jamais encore visité Belle Ile : n’étant jamais tombés sous le charme de l’île, il n’est pas certain qu’ils se décident à y venir cette année. Dernière inconnue : l’Erika, qui repose à 80 km de l’île, n’a toujours pas libéré tout son stock de fioul, et l’on ne sait toujours pas exactement quand celui-ci sera pompé, nombre de touristes attendent ainsi le dernier moment pour réserver. Un récent sondage IFOP/Ouest France dévoilait cela dit que, si près d’un Français sur trois compte passer ses vacances sur le littoral atlantique, 7% de ceux qui ne viendront pas invoquent l’Erika, mais 7% de ceux qui viendront le feront précisément à cause de la marée noire…

Les dégâts ne seront donc pas forcément si catastrophiques que ça : 50% des visiteurs estivaux, dont un grand nombre de VIP qui, depuis Sarah Bernhardt à la fin du XIXe jusqu’à François Mitterand dans les années 80, ont contribué au succès de Belle-Ile, disposent en effet d’une résidence secondaire, et ont donc de fortes chances de revenir sur leur île préférée. Grande comme Paris, elle ne compte que 4500 habitants, mais plus de 25 000 l’été : on ne peut pas dire qu’elle soit donc surpeuplée, et si la dizaine de navettes quotidiennes charrient à l’aller comme au retour l’équivalent de la population locale, "les promoteurs immobiliers n’ont pas réussi à entrer, la côte n’est pas bétonnée, même si les requins tournent constamment autour" comme le dit la femme de Samuel, et d’ajouter : "jusqu’à aujourd’hui, on n’avait pas vraiment besoin de faire de la pub, les touristes s’en chargeaient eux-mêmes !". Nombre d’habitués ont ainsi fait montre de solidarité en venant participer, en tant que bénévoles, aux travaux de nettoyage, sans compter tous ceux qui ont ainsi découvert Belle-Ile, et annoncés qu’ils repasseraient très certainement, histoire de revoir, dépolluée, les falaises, plages, landes et forêts qui font la renommée de l’île. Une expression revient d’ailleurs souvent dans la bouche des Belle-Ilois, celle de "tourisme de solidarité". D’autant que 80, sinon 100%, de l’économie de l’île dépend du tourisme et que de nombreuses sociétés sont déjà en situation très difficiles, même si l’on ne compte pour l’instant qu’un seul dépôt de bilan.

Si la Bretagne a longtemps gardé l’image d’une province rurale, austère et humide, elle vit en fait de plus en plus du tourisme : rien que pour ce qui est des départements touchés par la marée noire, le chiffre d’affaires de ce secteur d’activité se montait en 99 à 30 milliards de francs, générant quelques 63 000 emplois directs, et autant de saisonniers. Vous comprendez mieux ainsi pourquoi Samuel, comme de nombreux autres Belle-Ilois et habitants de la côte Atlantique, n’a de cesse d’enrager contre le cynisme de ceux qui, industriels du pétrole en tête, voient dans cette "Erikatastrophe un incident total-ement imprévisible. De protocoles en accords, le mariage de l'Etat et des compagnies pétrolières se profile : nous étions aux fiançailles, les noces auront lieu dans quelques mois : dommage, la mariée sera en noire...", sans parler des Bretons de la côte Nord qui, eux aussi, pâtissent une nouvelle fois du "double effet" marée noire.

L'e-commerce de terroir
Seul effet positif de la catastrophe de l’Erika : elle va faire le ménage au sein d’une profession où se fourvoient parfois certaines personnes peu scrupuleuses de la qualité du service, se contentant de profiter de leur part du gâteau : Belle-Ile est en effet un véritable eldorado, la croissance touristique était jusqu’ici exponentielle, et presque tous les habitants parviennent ainsi à arrondir leurs fins de mois, sinon à décrocher le magot. Pour Hervé Pérignon, "la région est sinistrée et il faut s’en sortir, donc devenir plus professionnel, inventer une autre forme de tourisme", avis partagé par Samuel Austin, pour qui "c’est une erreur d’avoir développé le tourisme en mono-économie", et d’ajouter : "pour moi, l’internet, c’est l’avenir". Outre un portail consacré à Belle-Ile, et qui devrait ouvrir d’ici l’été, Samuel va se lancer dans le commerce électronique de produits locaux : homards, langoustes, miel, chouchen, fromage de chèvre… le "circuit des saveurs" de Belle-Ile pourrait ainsi trouver son extension internet, sans parler de l’artisanat local et des souvenirs. Il compte également faire de sa maison, une ancienne laverie qu’il n’a de cesse d’agrandir et retaper, une "cyber-buvette", sorte d’équivalent, mais sans alcool, des cybercafés urbains. Au menu : accès internet, formation à l’informatique et jeux en réseau. Fan de simulation aérienne, il espère aussi pouvoir former les apprentis-aviateurs, avant que ceux-ci n’aillent voler "pour de vrai" à l’aéroclub local. Reste à transformer la cave, qui sert pour l’instant aux répétitions du groupe de reggae de son fils, en cyber-espace, espace auquel il souhaite à terme ajouter une "vraie" cave de dégustation de vin et des produits du terroir…

Sachez par ailleurs que, si vous comptez aller sur Belle-Ile en voiture, vous n’irez plus chez Total par hasard : ironie de l’histoire, le pétrolier a en effet le monopole de la distribution de l’essence sur l’île, et il vous faudra débourser 65 centimes de plus du litre que sur le continent, frais de port oblige… A moins que vous ne préféreriez y louer une voiture électrique, un vélo ou bien profiter des lignes régulières de bus nouvellement mises en place. Pour ce qui est des "bons plans", l’Office du Tourisme n’est guère intéressant : il ne renvoie qu’à ses adhérents, publicité rémunérée qui n’a rien à voir avec quelque forme de conseil impartial et avisé que ce soit. Le guide du routard reste ainsi un très bon investissement. Pour ceux qui ne seraient toujours pas convaincus, dites-vous que, justement, la possible baisse de fréquentation de l’île peut s’avérer être le bon moment pour se rendre sur Belle-Ile : chacun sait que les Bretons, en tout cas ceux qui ne vivent pas directement du tourisme, et plus particulièrement les expatriés qui, eux aussi, ne disposent que des vacances pour retourner dans au pays, profitent de n’importe quelle occasion (mauvais temps, marée noire, etc.) pour tenter de dissuader tous les autres d’investir encore plus avant leur chère Bretagne.

jmmanach (05.00 - publié en version courte dans le supplément multimédia de l'Express - 06.00)

l’Office de Tourisme de Belle-Ile : http://www.belle-ile.com/
le site de Samuel Austin : http://www.belle-ile-en-mer.org/
Maquette originale du site de l’Office de Tourisme de Belle Ile : http://www.chez.com/belleisle/Office/
Anneau de 19 sites consacrés à Belle Ile : http://nav.webring.org/hub?ring=belle_ile;list

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Samuel Austin a 40 ans et un parcours pour le moins étonnant. Diplomé de composition au conservatoire de musique de Paris (" je voulais prouver que c’était possible même quand on a les cheveux jaunes "), il a fait dans la musique électro-acoustique, contemporaine tout en étudiant le peul et le mandingue à Langues O, et continue encore aujourd’hui à jouer de l’accordéon, tendance Poggues. Son appartement est d’ailleurs truffé d’instruments de musique, d’animaux (chien, chat, perruche, hamster) et ressemble à s’y méprendre à un caphranaüm d’étudiant, sauf qu’il y habite avec ses 2 petites filles, qui ont appris à tâter de la souris avant même de savoir écrire, sa femme et ses beaux-fils. La maison est un peu à l’écart mais juste au-dessus du port de Palais, la principale des quatre communes de l’île, peu après une station essence… Total. Perdue en pleine " brousse " comme il dit, désignant les fourrés avoisinant, elle a déjà été rallongée, pour faire face à l’arrivée des enfants. Une caravane, deux motos et trois mobs sont postées entre le chemin de terre qui longe la barraque et une petite guérite en bois. Ici, rien de luxueux : la récupération tient lieu de décoration intérieure, même les 5 ordinateurs qui peuplent la maisonnée sont pour la plupart bricolés, à part celui qu’il a gagné lors de la fête de l’internet l’an dernier, récompense de son opération de transformation d’un bar en cybercafé. Il collectionne aussi les vieux ordinateurs, ceux de la préhistoire de l’informatique, en vue d’en faire un musée pour son projet de cyberbuvette : réparant de temps en temps les ordinateurs des Belle-Ilois, il récupère tout ce qu’il peut, ainsi de cette unité centrale, tirée d’un ordinateur qui avait brûlé dans un incendie, et qui compose l’âme de son serveur informatique, entièrement composé de pièces de récupération (le boîtier date quant à lui de 7 ans, le lecteur de disquette de 5 ans, etc.).

Samuel a le cheveu brun en bataille, vêtu d’un pull et d’un jean, de taille et corpulence moyenne, il est à la " cool ", et plus du genre dépareillé que tiré à quatre épingles, à l’image de sa maison, digne représentante de ce qui reste encore de la liberté des contre-cultures des années 70.

nonchalant, il répond aux questions tout en regardant la télé, sauf quand il dévoile son installation informatique (il a mis en réseau l’intégralité de la maisonnée) ou encore l’ordinateur qui lui sert à jouer au seul jeu qui le passionne : un simulateur de vol dont il joue souvent, et notamment en réseau, avec d’autres passionnés du monde entier (il a même obtenu un diplôme de commandant de bord virtuel au vu des 250 heures de vol qu’il a déjà accumulées). Un peu tout fou, c’est un passionné, intransigeant et sans concession, obstiné, têtu et passé maître dans l’art d’aller à la pioche aux informations, quand ce ne sont pas les " informateurs " qui viennent à lui...