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Anonymat ou traçabilité ?
L'Union
des Jeunes Avocats organisait le 26 avril 2000 un colloque consacré
à "L'anonymat dans la société de l'inform@tion
: Fichage et Démocratie". Si la quasi-totalité des
intervenants exprimaient leur très vive inquiétude en regard
des atteintes à la vie privée, Elisabeth Guigou, quant à
elle, a plutôt eu tendance à en rajouter question "cybercriminalité".
"La vie privée
des Français est aujourd'hui menacée de toutes parts",
"L'homme contemporain est maintenant un individu perpétuellement
repérable", "Echelon ravale Big Brother aux rangs d'un
valet de comédie qui écoute aux portes". Celui qui
s'exprime ainsi n'est pas un guru du cyberespace devenu parano à
force de rester connecté au réseau, mais rien moins que
Raymond Forni, président de l'Assemblée Nationale et ancien
vice-président de la Commission Informatique et Libertés
(voir le compte-rendu
de son allocution). Chargé d'ouvrir le colloque, il commença
par énumérer la longue litanie des atteintes à la
vie privée de chaque citoyen : " les dangers sont, à
titre principal, l'absence d'anonymat, le défaut de confidentialité
du message et, c'est le peut-être le plus grave à mes yeux,
le repérage, ce que l'on appelle d'un mot en forme de barbarisme,
la 'traçabilité'" via cartes à puces, téléphones
portables... et bien entendu l'internet. "Le danger, ce ne sont plus
les fameux RG, c'est la World Company" et "l'espionnage"
effectué par les prospecteurs de fichiers clients. Et de conclure
: "Comme le dit un héros des Damnés de Visconti qui
va bientôt fuir les nazis : 'cela ne sert à rien d'élever
la vois quand il est trop tard'".
"Inconnu
défavorablement des services de police"
La suite des interventions, qui concernaient aussi bien le NIR (n°
de sécurité sociale qui servira désormais à
d'identifiant pour les impôts) que le STIC (Système de Traitement
des Infractions Constatées utilisé par la justice - voir
le site de DELIS
pour plus d'informations à ce sujet) et réunissaient des
pontes de la défense des libertés individuelles, ne fit
qu'aggraver le tableau. Un seul exemple : Serge Portelli, Doyen des Juges
d'instruction de Créteil, montra ainsi à l'assemblée
la différence entre le casier judiciaire d'un quidam, vierge, et
la fiche du même, mais tirée du STIC, et qui contenait une
bonne vingtaine d'entrées. Y sont consignés tous les procès
verbaux, même ceux n'ayant pas donné de suite judiciaire,
et ce fichier sert aux policiers, comme aux magistrats, à mieux
se repérer dans les affaires qu'ils ont à traiter. Pour
Roland Kessous, avocat général à la Cour de Cassation
et président de la commission " Police-Justice " de la
Ligue des Droits de l'Homme, ce qui se profile derrière relève
du fantasme des pays totalitaires : tout savoir en tout temps sur l'emploi
des gens. 2 millions de personnes sont ainsi fichées, mais aucun
organisme extérieur ne contrôle l'intégrité
et l'utilisation de ce fichier, et les personnes fichées ne peuvent
ni le contrôler ni le modifier. Francis Teitgen, Bâtonnier
de l'Ordre des Avocats à la Cour de Paris, raconta quant à
lui comment un jour il découvrit sur une fiche cette indication
digne du meilleur des Big Brother : "inconnu défavorablement
des services de police" (sic).
Mais cette vision pour le moins inquiétante des perspectives en
matière de vie privée ne semblait pas être celle d'Elisabeth
Guigou qui, n'ayant pu assister aux débuts du colloque, n'en déclara
pas moins lors de son intervention que "20 ans après la loi
de 1978, les principes qu'elle a forgé sont remarquablement adaptés
aux grands fichiers publics qu'ils soient fiscaux, sociaux ou policiers
comme sans doute vous en avez convenus ce matin à propos du STIC"...
provoquant alors un léger vent d'hilarité dans la salle,
pourtant tout ce qu'il y a de plus distinguée. Cet apparent hiatus
ne l'empêcha pas d'entamer son discours en rappelant que l'"un
des aspects de la liberté réside incontestablement dans
une part livrée au secret, voire à l'opacité, part
que l'on peut résumer du nom de vie privée", avant
d'énumérer les dangers liés au fichage en règle
des citoyens dans des centaines, voire des milliers de bases de données.
Le problème, selon le Garde des Sceaux, "c'est la convergence
entre les outils du marketing classique et les technologies d'individualisation
que permettent les réseaux" : croisement et interconnexion
des fichiers, marketing ciblé et personnalisation des bases de
données, etc.
Des
"codes de bonne conduite"...
En vue de se prémunir contre les risques de dérives et d'atteintes
à la vie privée liés à ces fichiers, plusieurs
mesures sont actuellement à l'étude. Mme Guigou se félicitait
ainsi des "progrès considérables qui ont été
réalisés en vue d'aboutir à un accord entre l'Europe
et les USA", dit de "safe harbour", et qui vise à
protéger les internautes européens de la collecte de données
personnelles par les sociétés américaines. Ce "code
de bonne conduite" a néanmoins été dénoncé
au début du mois d'avril par le Dialogue Transatlantique des Consommateurs,
qui regroupe des associations américaines et européennes,
pour qui les garanties obtenues restent très en-deça des
obligations contenues dans les directives européennes (voir l'article
de zdnet.fr). Un autre chantier vise à transposer en droit français
la directive européenne de 1995 en vue d'"harmoniser le droit
européen des données pour faciliter leur circulation tout
en protégeant la vie privée et les libertés individuelles"
et ainsi adapter la législation, vieille de 20 ans, au contexte
actuel. Mme Guigou a enfin parlé d'un renforcement des " pouvoirs
d'investigation, d'injonction et de sanction de la CNIL de façon
à compenser la diminution des contrôles préalables
par une augmentation substantielle des contrôles a posteriori".
La CNIL est également invitée a recueillir les "projets
de code de déontologie, logiciels ou autres procédures techniques"
des professionnels en vue de délivrer "sous certaines conditions
une homologation ou un label". Elle pourrait par ailleurs prendre
les "mesures provisoires en cas de projet de transfert de données
vers un pays qui n'assurerait pas un niveau de protection des libertés
suffisant".
L'aspect international est en effet au coeur
du dispositif présenté par le Garde des Sceaux. A rebours
des interventions de ses prédécesseurs, elle insista en
effet sur la nécessité de combattre "l'anonymat dans
la société de l'information (qui) n'est pas seulement une
façon de protéger la vie privée, mais aussi une façon
de se livrer à des activités délictueuses ou criminelles".
La conclusion de son intervention portait en effet sur l'étendue
de l'arsenal policier mis en place ces temps-ci aux niveaux européen
et international. Elle cita ainsi et tout de go le Système Informatisé
Schengen, ou SIS, destiné à engranger les renseignements
transmis par les pays signataires des accords de Schengen (plus de 10
millions de fiches concernant 1,4 million de citoyens), l'accord signé
à Tempere en octobre 1999 pour le développement de la coopération
judiciaire et policière en Europe, et enfin la création
d'Eurojust "qui a vocation à intervenir dès qu'un problème
requiert la coordination des autorités nationales et dont le champ
de compétence s'étendra au cybercrime". Mme Guigou
évoqua enfin la création d'Europol, la nouvelle police européenne
pourtant dénoncée il y a peu par Henri Leclerc (président
de la Ligue des Droits de l'Homme) et Alima Boumédiène-Thiery
(députée européenne) dans un texte précisément
intitulé : "Pour
une CNIL européenne". Ils y dénoncent l'interconnexion
des fichiers de police des Etats membres ainsi que l'inscription de données
afférentes à l'origine raciale, aux croyances religieuses,
opinions politiques, vie sexuelle ou à la santé, dérives
précisément décriée par les intervenants précédents
comme relevant du totalitarisme.
Des
limites du contrôle
Il faut dire aussi que Paris accueillera le 15 mai prochain la conférence
du G8 consacré à la cybercriminalité et que, pour
Mme Guigou, "la France est décidée à être
un moteur dans la lutte contre ces nouvelles formes de délinquance".
Mais que venait faire cet opus aux relents quasi-sécuritaires dans
un colloque consacré à la défense de la vie privée
? La réponse se trouve peut-être dans la valse permanente
qui fait tanguer les praticiens de l'internet en regard de la justice
française. Ainsi, et alors que la majeure partie des décisions
de justice tendent à responsabiliser les hébergeurs et que
l'amendement Bloche, qui visait justement à "faire porter
le chapeau" aux auteurs des sites plutôt qu'aux "plombiers"
que sont leur fournisseurs, vient d'être vidé de sa substance
par l'Assemblée, Mme Guigou a-t'elle pu dire qu'"il est évidemment
hors de question qu'une autorité de contrôle aussi puissante
soit-elle visite tous les sites internet pour voir si les obligations
légales sont respectées". Ce qui devrait très
certainement plaire à Altern.org,
ou encore à l'AFA.
jmmanach
(initialement publié dans transfert.net,
04.00)
Téléchargez le programme (PDF- 72 ko) : «
L'Anonymat dans la société de l'inform@tion : Fichage et Démocratie »
Union des Jeunes Avocats : http://www.uja.asso.fr
Allocution de Raymond Forni : http://www.assemblee-nationale.fr/3/discours/3eba0004.htm
Rapport de la CNIL sur la " Protection des données personnelles
et e-commerce en France" : http://www.cnil.fr/thematic/them01.htm#100sites
Données privées : un "Safe Harbour" pas si
sûr que ça : http://www.zdnet.fr/actu/soci/a0013804.html
Pour une Cnil européenne : http://www.liberation.fr/quotidien/debats/mars00/20000324a.html
Altern à nouveau condamné : http://altern.org/defense
"Ce texte est essentiellement d'inspiration judiciaire et policière"
(AFA) : http://www.transfert.net/breves/b0523.htm
Droits et libertés face à l'informatisation de la société : http://www.delis.sgdg.org
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