Ian Kerkhof, réalisateur néerlandais d'origine
sud-africaine déjà culte à 33 ans
avec plusieurs courts-métrages lourdement traversés
par une obsession du sadomasochisme ("La Séquence
des Barres Parallèles", "Return of the
Dead Man", etc...) était le 8 mars
à Paris à l'invitation de l'Institut
Néerlandais pour y présenter son nouveau
long métrage "Wasted", polar clipé
sur la scène techno hollandaise. La barbe
christique, la dégaine et le regard évoquant
un croisement des Freak Brothers et de Charles
Manson, le créateur multiforme a bien voulu
répondre à quelques questions.
Jean-Jacques Rue : Question stupide et sûrement posée mille
fois : le fait que vous soyez né en Afrique du Sud a-t-il eu une
influence sur votre cinéma ?
Ian Kerkhof : Mon père est né en Afrique du Sud mais son
père était né au Caire et le père de son père
et toute ma famille antérieure sont originaires de Russie. L'Afrique
du Sud est importante pour moi parce que c'est l'endroit où j'ai
vécu les 19 premières années de ma vie. Mais en fait
je ne suis pas Noir, je ne suis pas Sud Africain, je ne suis pas Néerlandais
non plus. Seulement ma mère a épousé un néerlandais.
Les Pays-Bas ne sont important pour moi que parce que j'y vis depuis 14
ans. Mais probablement les racines de mon cinéma se trouvent en Russie.
Je pense d'ailleurs peut être y retourner.
JJR : Des cinéastes soviétiques vous ont marqué
?
IK : Paradjanov. Tu sais, il y a une différence à regarder
les choses depuis l'extérieur de soi ou depuis l'intérieur.
Quand je vois le cinéma de Paradjanov, c'est comme si le cinéma
était à l'intérieur de moi. Je reconnais les images,
les thèmes, quelque chose que je ne ressens peut être qu'avec
Kenneth Anger. Il y a quelque chose d'inexplicable peut être parce
que mes parents étaient d'origine juive. Ma famille est
venue en Afrique du sud pour faire de l'argent
et oublier leur judaïté. Ils ont changé
leurs noms pour ne pas être inquiétés
par la majorité chrétienne. Je suis très
loin du judaïsme mais suis fasciné par l'idée de savoir
ce que veut dire être juif.
JJR : Avec "Nice to meet you, please don't rape me", ta comédie
musicale sur le viol, tu es retourné en Afrique du Sud. Était-ce
un besoin ou juste une opportunité ?
IK : J'avais besoin de faire un film relativement autobiographique. Mes
précédents films étaient consacrés
à mes fantasmes et à mes rêves
et "Nice to meet you, please don't rape
me" décrit par contre l'univers de mon
enfance, celui que me décrivait ma mère,
mes voisins hommes ou femmes. J'avais besoin d'exorciser
toute cette merde. Quand tu as un problème, reconnais-le, cerne-le.
Pour moi le problème c'était de revenir en Afrique du Sud.
Quand j'y suis allé, j'ai fais très attention à ce
qui se déroulait autour de moi et probablement je ne me suis jamais
senti aussi africain.
JJR : La dramatique situation à propos du viol, quelles que soient
les ethnies, que tu évoques dans le film est toujours la même
aujourd'hui ?
IK : D'après mes informations ça n'a jamais été
aussi grave. Quand j'ai fait le film j'exagérais volontairement les
trait. Mais maintenant le problème du viol est tellement extrême
que je crains que ce ne soit irrémédiable pour la nouvelle
société sud-africaine. C'est très difficile d'être
une femme en Afrique du Sud.
JJR : En Afrique noire, ton film n'a pas été très
bien ressenti...
IK : Au Festival de Ouagadougou, 800 personnes sont sortis de la salle
en hurlant leur colère, notamment après la scène de
viol dans l'autobus. Les Africains ne sont pas habitués à
ce type de métaphore. La plupart des pays d'Afrique vivent sous une
dictature. En Europe, les gens croient stupidement
vivre en démocratie, ils croient à toutes
ces conneries comme la liberté de la presse,
etc... Au Burkina Faso, c'est vrai qu'il y a des militaires partout.
Les Africains ont l'habitude de voir des films avec des fins positives et
avec une certaine mythologie. En Hollande les gens ont une sorte de prison
mentale dans leur manière de prédéfinir comment leur
prochain doit être. Du coup tout le monde est sur le même modèle.
Il faut rappeler que la Hollande est une invention des Allemands au XIVème
siècle et ils l'ont d'ailleurs appelé le "pays de nulle
part". A travers toute la Hollande transparaît le conformisme,
l'uniformité et le germanisme. Depuis 400 ans la Hollande a une image
de pays de liberté mais c'est un écran de fumée. Les
gens ne sont pas si intéresses par la drogue et le sexe, mais par
le travail et l'argent. Les Pays-Bas sont totalement totalitaires.
JJR : Votre dernier film sur le milieu de la techno et des petits dealers
est-il une sorte de parabole ?
IK : Derrière le phénomène de la techno, les problèmes
de drogue, "Wasted" est une parabole de la politique en Hollande.
La scène techno représentait une alternative, mais aujourd'hui
c'est extrêmement compromis. L'ecstasy a permis aux Hollandais, qui
est un peuple qui ne sait pas bouger son corps, de danser enfin. La danse
c'est pour moi une forme de liturgie pré-chrétienne. Maintenant
la scène techno est minée par la drogue de merde. Les Pays-Bas
sont le centre mondial de l'X parce que le gouvernement lui-même a
produit des drogues de mauvaise qualité. C'est la même chose
que pour les États-Unis qui affichent une politique antidrogue et
qui d'un autre côté favorise le trafic pour aider les Contras.
Il y a beaucoup de points communs entre les deux pays : historiquement,
les Pays-Bas n'existent pas, tout comme les États-Unis qui ont massacré
les habitants originaux. Pour revenir à la drogue, il y a en fait
contrairement à ce que l'on croit très peu de junkies en Hollande.
Et ceux que je connais ont choisi de le devenir et aime réellement
vivre dans la rue et constituer une tribu. Je respecte ces gens qui ont
choisi de vivre dans la rue et au jour le jour.
JJR : Tous vos premiers films étaient portés par vos fantaisies
sexuelles et vos obsessions, cela ne vous intéresse plus ?
IK : Le problème est dans notre culture la
séparation entre les fantasmes et la réalité.
J'aime les choses mélangées, ambiguës.
Le film sur lequel je travaille exposera beaucoup la nudité, des
jeunes filles avec de très beaux seins. Je regrette que dans mes
films antérieurs, il n'y avait pas plus de beaux seins. Ce film sera
vraiment pour moi un film de rêve.
JR : Quel est l'état de la distribution aux Pays-Bas ?
IK : Catastrophique. "Nice to meet you, please
don't rape me" a établi un record en
sortant de l'affiche au bout de 3 séances
ayant cumulé 22 personnes. Je pense que
les Hollandais détestent le cinéma. Ils
détestent la culture puisqu'ils vivent dans le mensonge à
propos de ceux qu'ils sont. Or l'art c'est la révélation de
la vérité. Aux Pays-Bas il y a des grands réalisateurs
comme Johan van der Keuken qui sont à peine connu. Si on compare
aux Africains, qui ont peu d'éducation, ils connaissent le nom de
leurs réalisateurs parce qu'ils ont le sens de l'identité
et de la vérité. Les Africains adorent l'art, eux. Pour ma
part j'ai très peu d'espoir pour le cinéma néerlandais
d'autant qu'il n'y a aucune unité. Quelqu'un a dit que la démocratie
était la forme la plus élaborée de la dictature. A
la fin de la 2ème GM il ne restait plus que 10000 sur 100000 Juifs
d'Amsterdam, la plupart donné par leur compatriotes. D'ailleurs il
n'y a jamais eu vraiment de résistance en Hollande. Une expression
que répètent très souvent les Hollandais résume
la situation : "Sois Normal".
Si vous voulez en savoir plus, Ian Kerkhof sera membre du jury du FREAK
ZONE FESTIVAL, du 1er au 4 mai à l'Aéronef de Lille (rens:
03 20 78 00 00).