Extraits d'un récent Cercle de Minuit, Laure Adler était aux anges, Jean-Marie Straub, cinéaste (et) révolutionnaire, "agressait" Philippe Quéau, expert-intellectuel ès nouvelles technologies...
un.oeil.bien.sur,il.te.parle.et.te.poursuit...

P Q : J'étais en train de parler d'abstraction. Il semble que, pour certains observateurs...

JM S : Mais qu'est-ce que vous vendez, vous représentez quoi ? Vous êtes un représentant de commerce ! Vous êtes de la CIA ou de la Banque Mondiale ?

P Q : ...le progrès de la civilisation vient de la capacité à se distancer, vous vous mettez hors de vous-même pour avoir plus de conscience de vous-même.

JM S : Je ne connais qu'une seule abstraction, c'est celle de Cézanne.

P Q : Avec le virtuel, nous avons une capacité d'abstraction supplémentaire qui va nous faire progresser.

JM S : Encore du progrès ! Mais bon Dieu, c'est le plus grand mensonge de l'histoire de l'humanité ! Vous courrez à l'abîme, ce sont les générations futures que vous programmez, et c'est ça la barbarie. Vous êtes un agent publicitaire !

P Q : Je ne crois pas aux prophètes du grand soir, à cet espèce de déversement de hargne, de bile et de haine.

JM S : Je n'ai ni hargne, ni bile, ni haine, c'est justement parce que j'aime ! La seule chose que nous ayons c'est la planète, j'adore la vie et c'est par amour que je vous dis ce que je vous dis.

P Q : Vous êtes haineux, et moi ce que j'ai envie de donner c'est un message d'amour, j'ai trois enfants et ils vont vivre cela ! Vous avez simplement un tombereau de haine et d'injures à déverser, vous ne savez même pas qui je suis et vous me traitez d'agent de la CIA, et vous parlez allemand avec une espèce de haine incroyable, je n'ai jamais été traité comme ça, je suis vraiment hors de moi... Trop de gens se croient tissés du même tissu que le monde, nous sommes des êtres spirituels, la technologie du virtuel nous permet de démocratiser cette intuition fondamentale que nous sommes arrivés ici par hasard mais que nous sommes peut-être appelés à en sortir, le virtuel est une manière de nous dire que le réel n'est que du réel, que de la chose.

JM S : la planète c'est tout ce qu'on a, quand elle sera saccagée, qu'est-ce qu'il restera ?

P Q : Shakespeare l'a déjà dit, il y a beaucoup d'autres choses dans le monde, qui ne sont pas dans votre philosophie.

JM S : bon alors allons-y, moi je vous cite Hölderlin, "Le berceau des enfants de la terre", qu'est-ce que c'est, c'est la terre !

P Q : bon alors ça c'est la philosophie immanentiste, bien allemande pour le coup, avec tout le danger que ça peut avoir.

JM S : vous avez quelque chose contre les germains vous !

P Q : non, mais je suis contre l'immanentisme.

Danièle Huillet : est-ce que vous êtes sûr que chaque chose dont on pense que c'est un progrès nous fait perdre autant de choses que ce que ça nous apporte ?

P Q : ... y'a du bon et du mauvais.

JM S : le pour et le contre, le bon et le mauvais...

P Q : c'est une nouvelle écriture, ça offre un nouveau paysage d'abstractions, et donc de nouvelles façons de créer de l'imaginaire et de nous créer nous-même.

JM S : en gros, ce dont il rêve, c'est la liquidation du thomisme, pour moi l'âme c'est la forme du corps et rien d'autre.

P Q : je suis platonicien, néo-platonicien.

JM S : moi je suis thomiste.

Paul Virilio : je crois qu'on ne peut se tirer de la situation présente en acceptant que notre monde est à la fois catastrophique, apocalyptique et merveilleux, il est les deux à la fois, tout va plus vite, tout est plus enrichissant, et tout est plus dramatique. Le jour où nous aurons compris cela nous serons enfin dans un ère shakespearienne, où les héros seront grands dans le drame. Le monde sera là, mais il sera abondonné. Quand on invente l'ascenseur, on perd l'escalier, qui devient "de secours"...

JM S : le monde dans lequel on vit fabrique des invalides, des ersatz et des cul-de-jatte !

P V : le grand danger, c'est qu'il existe une réalité et une humanité de secours, qui existe mais n'a plus droit à l'histoire.

JM S : brièvement, sans polémique et gentiment, là, vous me décevez : Le Monde Diplomatique, dans un compte-rendu de colloque, vous reprochait d'avoir été le seul à être négatif, tous les autres étant à dire "le pour et le contre, oui mais on peut pas faire autrement"...

P V : je suis critique, au sens de critique d'art, pas de destructeur.