Dérives
un.oeil.bien.sur,il.te.parle.et.te.poursuit...

 

Les 3 et 4 avril dernier, ECLIPSES, revue de cinéma basée à Caen, et le Café des Images d'Hérouville St Clair (salle de cinéma des plus actives à force de projections-débats, rétrospectives et autres rencontres, également co-producteur de VIDÉO ART PLASTIQUE, rendez-vous couru de la vidéo de création) recevaient une dizaine de revues, venues de Lille, Bordeaux, Toulouse... pour une manifestation titrée CRITIQUE ET CINÉMA : UNE CORRESPONDANCE SECRETE, ÉTAT DES LIEUX DE LA "CRITIQUE BIS" EN FRANCE, faisant état du regain d'intérêt pour l'écrit de cinéma, dont les raisons sont peut-être à chercher dans le trouble né de la fin d'une ère, symbolisée par la cinéphilie de Serge Daney, et par l'avènement d'une autre, un peu hâtivement dénommée "vidéosphère" par Régis Debray, faisant appel à d'autres dimensions de l'image et de ses rapports au monde.

 

"CRITIQUE BIS" : une critique entre guillemets, qui plus est une critique BIS ? Les ("vrais") critiques possèdent en effet une carte, dite "verte", leur permettant d'entrer gratuitement en salle, passe-droits parcimonieusement délivrés par un syndicat auquel il faut adhérer. Les vrais critiques sont donc également assurés d'être invités aux projections presse par des attaché(e)s du même nom qui les ont rentré sur leurs fichiers. Rémunérés à la pige et non mensualisés, ils travaillent souvent pour plusieurs journaux, radios ou télés en même temps, et doivent faire attention à ne pas trop se répéter.

 

La "critique bis" serait alors constituée pa. S".. S"HO HTM`S"T  HelveticaMH Monaco奐唆C6PK;?"K;?",R*chMonaco, on voit bien que leurs statuts respectifs ont peu à peu perdus de leur sens aujourd'hui, aspirés par le flux communicationnel. Serge Daney s'affirmait journaliste plus que critique, en tant que le cinéma lui donnait accès au monde. Il ne comprenait pas que Serge July ne le défende pas plus quand Claude Berri l'attaquait pour diffamation (le comble, pour un critique !). Quand il parlait de mort du cinéma, c'était moins le cinéma (comme le journalisme dans la communication) qu'il voyait disparaître, mais un certain rapport au monde.

 

Et l'une des raisons de la création de 101 réside justement dans ce désir de réinterroger le monde via ses images-écrans, 101 n'étant en définitive qu'un moyen, média. Et ce qui fut presqu'exceptionnel dans cette rencontre au Café des Images (dont le nom trouvait vraiment là sa justification) résidait principalement dans la formulation d'enjeux communs à une bonne partie de l'assemblée (voir leurs présentations ci-dessous, ainsi que la revue de presse), alors que les notions mêmes d'enjeux comme de communauté d'intérêt semblent avoir disparu du milieu cinématographique, sinon d'un point de vue économique.

 

En premier lieu, il s'agirait de s'affranchir du poids symbolique des CAHIERS DU CINÉMA et de POSITIF, de toute cette histoire de l. S"#.. S" 0 GIF`S"$ T  HelveticaMH Monaco奐唆C6PK;?"K;?",R*chMonacoar ces deux revues. Sorte de querelle des anciens et des modernes.

 

Mais, en dehors du poids de ces deux figures tutélaires, qu'il ne faudrait pas non plus rejeter en bloc, il s'agit surtout de faire le lien entre les conditions contemporaines d'accès à ce que l'on appelait cinéma et ce dont on ne sait plus trop comment nommer. Nous avons grandi, et vivons aujourd'hui, environné de tellement d'images disparates et incohérentes qu'il serait bon de faire la part des choses à partir de cette expérience de spectateur (sur-sollicité) plutôt qu'à partir de l'idée que l'on se fait toujours du cinéma. Il n'est plus cette fenêtre ouverte sur le monde prenant essentiellement sens dans une salle obscure, le spectateur seul au beau milieu d'une foule plus ou moins anonyme. Les écrans n'ont plus cette seule existence, ils sont devenus pluriels, et envahissants. Les enfants apprennent aujourd'hui à regarder le monde et à "lire" les images via leurs consoles de jeux et autres écrans informatiques fonctionnant en hypertexte, s'échangeant leurs logiciels et s'identifiant à des avatars de personnages, gavés de publicités reprenant souvent certains effets graphiques ou de mises en scènes inspirés de l'histoire des avant-gardes de ce siècle, etc. En quelle mesure pourront-ils ainsi toujours s'identifier à des histoires linéaires, quand leur Histoire devient chaotique, quand les repères s'offrent à profusion et qu'on n'a d'autre choix que de s'extraire (comme Debord) ou de zapper ("surfer" dirait un internaute) ?

 

Il s'agit d'arriver à mieux cerner notre rapport contemporain au monde via ses images-écrans pour en dégager des perspectives. Daney faisait une distinction entre les images, qui renvoyaient à l'Autre, et les visuels, qui ne renvoyaient qu'à eux-mêmes. Le cinéma, dans son acception traditionnelle (en salle, et narratif) renvoit tellement plus à lui-même (en tant que pratique culturelle d'auteurs, critiques et spectateurs) qu'à la façon dont nos vies prennent sens à travers ces images et sons que cette opposition serait à revoir. Nous avons aujourd'hui plus de vécu télévisuel que cinématographique, par exemple. Et il ne s'agit pas que d'une histoire de génération : cette histoire-là concerne tout un chacun, même si ses effets sont plus prégnants pour qui grandit en phase avec ces évolutions, ou mutations, de nos possibilités de regards.

 

jean-marc manach