La clôture cinéphile
un.oeil.bien.sur,il.te.parle.et.te.poursuit...

 

En marge de quels Cahiers se situe-t'on ? Se démarquer des critiques, de leur vide, du mythe, fidélité à TRAFIC, au geste de Daney. Quid de la déception et du désir ? Étouffement face à la cinéphilie... Retranscription d'une intervention de Muriel Combes au Café des Images, d'autant plus intéressante que Nicolas Azalbert (son acolyte à la revue PERSISTANCES, avec Bernard Aspe), tenait exactement les mêmes propos quelques jours auparavant lors d'un débat à la BPI... cela faisait longtemps qu'on n'avait pas été confronté à une telle communauté de regard, à un engagement contemporain sur le "cinéma" (au sens large) aussi porteurs de sens.

 

"Le cinéma est très lié à l'histoire de ce siècle, à la perception collective de ce siècle, et s'il y a un épuisement de la critique et un désir de retourner aux sources, c'est aussi parce qu'il y a un épuisement de cette fonction-là. Peut-être faut-il repartir d'où on est dans le monde. La construction de notre perception passe aujourd'hui par l'agencement des affiches dans la ville, par Internet, la vidéo, le développement de pratiques artistiques autres... Récemment, ce qui m'a intéressée, c'était aux États Généraux du Documentaire de Lussas, des vidéos faites pendant les grèves de décembre 95 par des cheminots. Sans se concerter, plusieurs se sont mis à faire des films, partout en France. Ca peut être aussi le film de Sophie Calle, où la vidéo accompagne un voyage intime, ou la façon dont des homosexuels filment leur pratique amoureuse, leur rapport au SIDA, à travers la vidéo... Il y a tout un développement de pratiques parallèles au cinéma, mais qui pourtant semblent relever d'un même désir.

 

Le problème, c'est de sortir de la clôture cinéphile : comment faire voyager le désir de cinéma qui nous avait amenés à fonder cette revue, en ouvrant sur d'autres pratiques, à partir de la question de la dimension politique qu'a toujours eue le cinéma en termes de rapport à la perception collective, de rapport entre intimité et histoire.

 

Au sein d'un certain milieu d'étudiants de cinéma, de gens qui vont au cinéma, qui lisent des revues, il y a un phénomène assez général de rejet subjectif et commun d'une ancienne cinéphilie, d'une certaine forme de critique, qui a peut-être vécu : plusieurs fois est revenue l'idée que les CAHIERS sont un peu vides, POSITIF aussi. La clôture cinéphile, c'est que cette cinéphilie est passée, tout le monde semble le dire, et il y a une difficulté à sortir de ce qu'elle a déterminé en nous de façon de voir le monde, d'habitudes de regard, de façon de se rapporter quand même d'abord centralement au cinéma. C'est un phénomène biface : d'un côté, comme le disait Daney, une certaine cinéphilie est sans doute terminée, et de l'autre on doit faire face à ça, et pour faire face à ça, on a souvent tendance à rester quand même dans un point de vue cinéphile. Le geste de TRAFIC, c'est de revenir à ce qu'a été le cinéma, or on reste souvent enfermé à l'intérieur du cinéma. Peut-être faut-il plutôt repartir de la question de ce qu'aura été le cinéma au XXème siècle, de manière collective, chercher à savoir où on en est aujourd'hui dans le rapport à la perception ?, et ça ouvre sur tout autre chose que le cinéma... On a tous été plutôt élevés avec la télé, et on s'attache à une culture cinéphile à partir d'une immersion dans un univers et des pratiques qui ne sont plus cinéphiles. Plutôt que de clôture cinéphile, on pourrait parler de crise de la cinéphilie, mais en tant que toute crise est positive, il y a des germes intéressants si on essaie de voir ailleurs.

 

Q : Tu parlais tout à l'heure du vide de la presse spécialisée. La culture cinéphile est accaparée par les CAHIERS DU CINÉMA et POSITIF, mais ce n'est pas non plus une culture au sens strict parce qu'elle repose sur des a priori idéologiques et esthétiques qui ne sont plus énoncés aujourd'hui et sur lesquels elles reposent toujours. La cinéphilie est née avec ces deux revues là, et un fossé se creuse entre les gens qui aiment le cinéma aujourd'hui et le cinéma qu'elles ont défendu. Hier, la cinéphilie c'était l'exception, aujourd'hui c'est la règle.

 

Ce que tu dis reste à l'intérieur d'une question que se posent les gens qui aiment le cinéma aujourd'hui, une espèce de nouvelle cinéphilie. Si on reste à l'intérieur de ça, on tourne en rond et on fait l'histoire de la cinéphilie CAHIERS-POSITIF, mais nous ne restons pas dans ce problème là, la question qu'on pose c'est : est-ce que cela a un sens aujourd'hui de se dire cinéphile ? La cinéphilie ça a été aussi le fait que le rapport au monde passait par le cinéma, le cinéma nous redonnait le monde, nous ouvrait le monde. Aujourd'hui, si on ne prend pas la mesure d'une immersion beaucoup plus large que ça, on va rater quelque chose.

 

Q : Mais la cinéphilie, vous la remplacez par quoi ?

 

On ne cherche pas à remplacer le cinéma, mais on cherche à comprendre ce qui se passait, ce dont le cinéma témoignait au moment où il était plus vif dans l'esprit de tous, et on essaie de voir où ça se passe aujourd'hui parce que le cinéma ne se passe pas que dans les salles, on essaie de repérer les lieux où les gens ont envie de se saisir d'autres outils pour fabriquer de la mémoire, un rapport au présent, un rapport au monde en général, et ça se passe beaucoup en vidéo, peut-être avec les nouvelles technologies..."

 

voir aussi la revue de presse.